vendredi 27 août 2021

Bachelard (marines)

Bachelard, L'Eau et les rêves Livre de poche p. 37-38 : 

"Eugenio d'Ors veut prouver que les conditions d'air et de lumière sont des adjectifs qui ne peuvent nous faire connaître la véritable substance du paysage. Il veut, par exemple, qu'une marine offre 'une consistance architecturale' et il conclut : 'Une marine que l'on pourrait intervertir par exemple, serait un mauvais tableau***. Turner lui-même - si audacieux pourtant, dans les fantasmagories lumineuses - ne se risque jamais à peindre un paysage maritime réversible, c'est-à-dire dans lequel le ciel pourrait être pris pour l'eau et l'eau pour le ciel. Et si l'impressionniste Monet, dans la série équivoque des Nymphéas, a fait ainsi, on peut dire qu'il a trouvé sa pénitence dans le péché ; car jamais les Nymphéas de Monet n'ont été, ni ne seront tenus, dans l'histoire de l'art, pour un produit normal : plutôt pour un caprice, qui, s'il caresse un moment notre sensibilité, manque de tout titre à être accueilli dans les archives ennoblissantes de notre mémoire. Récréation d'un quart d'heure ; objet fongible situé d'ores et déjà dans le voisinage immédiat de ce qui est purement décoratif entre les réalisations de l'art industriel ; frère des arabesques, des tapisseries, des plats de Faenza ; choses, enfin, que l'on voit sans regarder, que l'on saisit sans penser et que l'on oublie sans remords." 


*** Bachelard ne ferme pas les guillemets de la citation ; il est vraisemblable qu'elle s'achève ici.