Leibniz, Essais de Théodicée 1° partie § 49 :
"Le cas de l'âne de Buridan entre deux prés, également porté à l'un et à l'autre, est une fiction qui ne saurait avoir lieu dans l'univers, dans l'ordre de la nature [...]. Il est vrai, si le cas était possible, qu'il faudrait dire qu'il se laisserait mourir de faim ; mais dans le fond, la question est sur l'impossible, à moins que Dieu ne produise la chose exprès. Car l'univers ne saurait être mi-parti par un plan tiré par le milieu de l'âne, coupé verticalement suivant sa longueur, en sorte que tout soit égal et semblable de part et d'autre ; comme une ellipse et toute figure dans le plan, du nombre de celles que j'appelle amphidextres, peut être mi-partie ainsi, par quelque ligne droite que ce soit qui passe par son centre : car ni les parties de l'univers, ni les viscères de l'animal ne sont pas semblables, ni également situées de deux côtés de ce plan vertical. Il y aura donc toujours bien des choses dans l'âne et hors de l'âne, quoiqu'elles ne nous paraissent pas, qui le détermineront à aller d'un côté plutôt que de l'autre ; et quoique l'homme soit libre, ce que l'âne n'est pas, il ne laisse pas d'être vrai par la même raison, qu'encore dans l'homme le cas d'un parfait équilibre entre deux partis est impossible, et qu'un ange, ou Dieu au moins, pourrait toujours rendre raison du parti que l'homme a pris, en assignant une cause ou une raison inclinante qui l'a porté véritablement à le prendre, quoique cette raison serait souvent bien composée et inconcevable à nous-mêmes, par ce que l'enchaînement des causes liées les unes avec les autres va loin."