Giono, Les Terrasses de l'île d'Elbe [article de mars 1963] :
"On a très exactement calculé, sur une boîte de carton qui a de vingt à trente centimètres de côté, combien de centimètres il est nécessaire de peindre en rouge, et combien en jaune. On ne peut pas intervertir la proportion des couleurs sans courir le risque de voir la vente baisser jusqu'à la faillite, mais du moment qu'on les respecte, et pour peu qu'on ait trouvé pour ce qu'on vend un nom facile à retenir, mais contenant une once de poésie ou de calembour, ou de fausse science, on peut vendre n'importe quoi. Bien entendu, ces conditionnements coûtent cent fois plus cher que le vent qu'ils contiennent. Ils exigent un important personnel technique, depuis le maquettiste, l'expert en couleurs, le dessinateur de lettres et le fabricant de galimatias, jusqu'aux machinistes les plus habiles des machines à reproduire les plus compliquées. Les boîtes ainsi confectionnées iront prendre place sur les étagères de toutes les boutiques du monde, et c'est sur leur visage que la ménagère les jugera et les achètera. Quel économiste dira jamais – s'il ne l'a déjà fait – combien on dépense d'argent en achat de cartons conditionnés purs et simples.
[...] On a fait passer habilement l'intérêt des petits esprits de l'essentiel à l'accessoire, pour rendre cet accessoire indispensable, et le vendre très cher à des gens qui n'en ont pas besoin et l'achètent pour le mettre à la poubelle. Que mon beurre soit proprement emballé, bravo ! Mais il ne faut pas en faire une affaire d'État. L'important est qu'il soit frais. Oui, mais qui achètera du beurre, même de première fraîcheur, emballé dans du papier noir ?"