Hrabal, Les Imposteurs, (Le conducteur de tramways de Prague) p. 170 :
"La patronne lavait des tasses de café dans l'évier, toute rêveuse.
Tu sais, m'a-t-elle dit, quand j'étais encore à l'école, il y avait un jeune gars, un beau jeune homme, qui me sonnait au clairon de l'autre côté de la rivière, à la tombée du soir j'allais donner à manger aux lapins, je n'avais pas le temps d'ouvrir le clapier qu'il le savait déjà et me sonnait doucement par-dessus les maisons et la rivière, tous les soirs son clairon m'enfonçait un poignard dans le coeur..., a-t-elle dit d'un ton nostalgique en posant les tasses propres sur la table.
La patronne penchée au-dessus de l'évier racontait sa vie aux tasses à café. Je faisais exprès de leur donner à manger lentement pour pouvoir écouter ce jeune gars qui jouait si bien, là-bas quelque part au bord des champs, rien que pour moi, parce que j'étais jolie, j'étais heureuse d'entendre qu'il y avait quelqu'un qui m'aimait assez pour rester assis dans les champs et sonner de son clairon dans le soir tombant rien que pour moi... La patronne avait embelli à la pensée de la sonnerie du beau jeune gars, à présent elle coupait à nouveau du salami, elle avait ouvert une conserve, retourné ses manches et, le bras plongé jusqu'au coude dans le bocal, elle repêchait les cornichons lisses au fond."