dimanche 11 avril 2021

Gracq (Landes)

 Gracq, Lettrines Pléiade p. 241-242

« Les pinèdes plantées serré sont laides, à cause de la raideur des troncs verticaux que rien ne coupe ou ne dissimule ; de lugubres futaies de poteaux télégraphiques éclaffés au pied de leur longue entame neuve. Plus au large, plus aérées – c’est une claire forêt solaire, où le pin tord ses branches à l’aise comme la ferraille dans le grésillement d’un brasier : tout ici est crépitement – soleil décollant les lamelles d’écorce, déhiscence claquante des pignes, aiguilles sèches sous le pied du promeneur : tout glorifie la sécheresse combustible. La double bande, d’un vert lumineux, de l’herbe au bord de la route, y fait une allée de fraîcheur, débouche de loin en loin sur les clairières de conte de fée, où les maisonnettes couchées à l’ombre sur la pelouse ont la dispersion bizarre et rêveuse d’un troupeau qui rumine logé au large sous les chênes.

[...] Hossegor : quand on descend sur la plage, le long de la laisse de haute mer, on a d’abord l’impression que des pêcheurs ont étendu à perte de vue à sécher sur le sable de très fins filets noirs : en s’approchant, on voit que le liséré de chaque vague est frangé comme d’une voilette de deuil par les granulations du mazout, qui transforme tous les baigneurs en pieds-noirs. À Lacanau, le mazout à l’état solide est moins abondant, mais l’écume de la mer montante mousse avec la couleur du jet de chique d’un loup de mer, et la plage étale au soleil les belles coulées brunâtres des murs des garages. Autrefois, sur les plages de la Baltique, on récoltait l’ambre : nous avons changé tout cela.

À Argelès-sur-Mer, cent mille campeurs ont pris le relais volontaire des réfugiés d’Espagne de 1939 : le camp de concentration moins les barbelés est la forme palpable que prend en 1963 la joie de vivre pour sept à huit millions de Français ; les barbelés repousseront tout seuls : leur contenu futur a déjà le pli.

Villas cossues du haut négoce bordelais dans les pins du Pyla-sur-Mer, qui font songer au vers de Rimbaud :

Viens, les Vins vont aux plages."