vendredi 19 février 2021

Sepulveda (dentiste)

 Sepulveda, Le Vieux qui lisait des romans d'amour, trad. Maspero, chap. 1 : 

"Les quelques habitants d’El Idilio, auxquels s’étaient joints une poignée d’aventuriers venus des environs, attendaient sur le quai leur tour de s’asseoir dans le fauteuil mobile du dentiste, le docteur Rubicondo Loachamín, qui pratiquait une étrange anesthésie verbale pour atténuer les douleurs de ses clients.

– Ça te fait mal ? questionnait-il.

Agrippés aux bras du fauteuil, les patients, en guise de réponse, ouvraient des yeux immenses et transpiraient à grosses gouttes.

Certains tentaient de retirer de leur bouche les mains insolentes du dentiste afin de pouvoir lui répondre par une grossièreté bien sentie, mais ils se heurtaient à ses muscles puissants et à sa voix autoritaire.

– Tiens-toi tranquille, bordel ! Bas les pattes ! Je sais bien que ça te fait mal. Mais à qui la faute, hein ? À moi ? Non : au gouvernement ! Enfonce-toi bien ça dans le crâne. C’est la faute au gouvernement si tu as les dents pourries et si tu as mal. La faute au gouvernement.

Les malheureux n’avaient plus qu’à se résigner en fermant les yeux ou en dodelinant de la tête."



Los pocos habitantes de El Idilio más un puñado de aventureros llegados de las cercanías se congregaban en el muelle, esperando turno para sentarse en el sillón portátil del doctor Rubicundo Loachamín, el dentista, que mitigaba los dolores de sus pacientes mediante una curiosa suerte de anestesia oral.

—¿Te duele? —preguntaba.

Los pacientes, aferrándose a los costados del sillón, respondían abriendo desmesuradamente los ojos y sudando a mares.

Algunos pretendían retirar de sus bocas las manos insolentes del dentista y responderle con la justa puteada, pero sus intenciones chocaban con los brazos fuertes y con la voz autoritaria del odontólogo.

—¡Quieto, carajo! ¡Quita las manos! Ya sé que duele. ¿Y de quién es la culpa? ¿A ver? ¿Mía? ¡Del Gobierno! Métetelo bien en la mollera. El Gobierno tiene la culpa de que tengas los dientes podridos. El Gobierno es culpable de que te duela.

Los afligidos asentían entonces cerrando los ojos o con leves movimientos de cabeza.