mardi 4 août 2020

Giono (succession - simultanéité)


GionoNoé Pléiade p. 641-642 : 
« Avec l'écriture on n'a pas un instrument bien docile. Le musicien peut faire entendre simultanément un très grand nombre de timbres. Il y a évidemment une limite qu'il ne peut pas dépasser, mais nous, avec l'écriture, nous serions même bien contents de l'atteindre, cette limite. Car nous sommes obligés de raconter à la queue leu leu ; les mots s'écrivent les uns à la suite des autres, et, les histoires, tout ce qu'on peut faire c'est de les faire enchaîner. Tandis que Brueghel, il tue un cochon dans le coin gauche, il plume une oie un peu plus haut, il passe une main coquine sous les seins de la femme en rouge et, là-haut à droite, il s'assoit sur un tonneau en brandissant une broche qui traverse une enfilade de six beaux merles bleus. Et on a beau ne faire attention qu'au cochon rose et à l'acier du couteau qui l'égorge, on a en même temps dans l'œil le blanc des plumes, le pourpre du corsage (ainsi que la rondeur des seins pourpres), le brun du tonneau et le bleu des merles. Pour raconter la même chose je n'ai, moi, que des mots qu'on lit les uns après les autres (et on en saute). »