dimanche 3 mai 2020

Tremblay (tortues)


Tremblay, La grosse Femme d’à côté est enceinte, chapitre 8 :
 « […] Il courait jusqu'ici, parfois d'une traite, et venait s'appuyer contre la clôture circulaire qui empêchait les tortues, pourtant à moitié mortes de chaleur et de malnutrition, séchées, plissées, malades, leur carapace grise et molle, de s'échapper. […]. Il pouvait passer des heures à regarder ces choses hideuses essayer de se rafraîchir dans une eau tiède et croupissante, leurs têtes pointées vers le ciel dans un geste de supplication, la bouche ouverte, édentée, immobiles comme une tragédie. C'était cette immobilité qui fascinait le plus Richard, ce tableau que les tortues offraient du malheur immuable, à la fois conquérant et résigné, figé une fois pour toutes dans l'espace et le temps, niant le passé, déjà maître de l'avenir, coulé dans la défaite et s'en repaissant. Richard aurait voulu être une de ces tortues, il était une de ces tortues, quand les angoisses de l'âme empêchaient son corps de réagir : il avait choisi l'immobilité des tortues plutôt que d'essayer de résister à ses penchants morbides naturels et vivre. Il était une victime-née et les tortues du parc Lafontaine un reflet de l'image qu'il se faisait du monde à l'intérieur duquel il évoluait, ou, plutôt, il n'évoluait pas. »