mercredi 6 mai 2020

Alain (musique)


Alain, L’emphase dans la musique, 24 novembre 1921, Propos Pléiade t. 1 p. 325-326 
« Toute la puissance du quatuor à cordes, quand il fait revivre quelque œuvre immense de Beethoven, vient de ce que les artistes se font serviteurs de la musique et n'expriment plus alors autre chose que la nature humaine purifiée. […] C'est la musique qui m'a averti de ceci que l'expression des émotions, dans les arts, était peu de chose. Plus un adagio a d'ampleur et de hauteur, plus le sentiment qu'il exprime est indéterminé. Ces remarques conduisent à une contradiction en ce qui concerne le théâtre musical ; car, alors, le sentiment est proposé et défini. Il faudrait peut-être dire de tous les arts qu'ils n'expriment jamais tel sentiment, mais plutôt qu'ils développent un espace des sentiments qui donne de la grandeur à tous. […] L’harmonie propre aux vers est ce qui élève les sentiments jusqu'au tragique, c'est-à-dire jusqu'à un point où l'on cesse presque d'éprouver à force de hauteur. Sans doute pour la poésie, on arriverait à circonscrire le sentiment poétique et à le séparer de tout ce qu'exprime le langage. Car il est vrai que le poème grandit les moindres mots. La musique aussi nous détourne vers une autre dimension des sentiments, mais l'homme demande compte à la musique de ces effets magiques, et ne comprenant point que la négation seule de l'existence agitée et inquiète est tout le sublime, il cherche quelque dieu extérieur, qui serait objet ou idée ; cette recherche est idolâtrie à proprement parler.