mercredi 26 février 2020

Valéry et Céline (ports)


Valéry, Inspirations méditerranéennes, Pléiade t. 1 p. 1084-1085 :
« Je suis né dans un de ces lieux où j’aurais aimé de naître. Je me félicite d’être né en un point tel que mes premières impressions aient été celles que l’on reçoit face à la mer et au milieu de l’activité des hommes. Il n’est pas de spectacle pour moi qui vaille ce que l’on voit d’une terrasse ou d’un balcon bien placé au-dessus d’un port. Je passerais mes jours à regarder ce que Joseph Vernet, peintre de belles marines, appelait les différents travaux d’un port de mer. L’œil, dans ce poste privilégié, possède le large dont il s’enivre et la simplicité générale de la mer, tandis que la vie et l’industrie humaines, qui trafiquent, construisent, manœuvrent tout auprès, lui apparaissent d’autre part. 

Céline, D’un château l’autre Pléiade p. 65-66 : 
« […] Je suis fanatique des mouvements de ports, de tous trafics de l’eau... de tout ce qui vient vogue accoste... j’étais aux jetées avec mon père... huit jours de vacances au Tréport... qu’est-ce qu’on a pu voir !... entrées sorties des petits pêcheurs, le merlan au péril de la vie !... les veuves et leurs mômes implorant la mer !... vous aviez des jetées pathétiques !... de ces suspens ! alors minute !... que le Grand Guignol est qu’un guignol ! et les milliards d’Hollywood ! maintenant là, voilà c’est la Seine... oh ! je suis tout aussi fasciné... tout aussi féru des mouvements d’eau et des navires que dans ma petite enfance... si vous êtes maniaque des bateaux, de leurs façons, départs, retours, c’est pour la vie !... y a pas beaucoup de fascinations qui sont pour la vie... la moindre péniche qui s’annonce, j’ai ma longue vue, je la quitte plus de là-haut, de ma mansarde, je vois son nom, son numéro, son linge à sécher, son homme à la barre... je braque, la façon qu’elle prend l’arche d’Issy, le pont... vous êtes passionné, vous êtes pas... vous êtes doué pour les mouvements de ports, rafiots, trafics de quais et des barrages... la moindre yole qu’accoste, je dégringole, je vais voir... je fonçais !... je fonce plus... maintenant, la longue vue, c’est tout !...
La moindre percluse moisie péniche à ramper le long d’un canal j’allais avec jusqu’à l’autre bief !... oh, certes j’ai suivi les demoiselles !... bien des demoiselles !... mais j’ai passé autrement d’heures à me fasciner des mouvements d’eaux... de tout le cache-cache des arches... l’autre arche !... le gros bateau-citerne... un autre !... le petit yacht !... une mouette !... deux !... la magie des bulles au courant... clapotis !... vous êtes sensible ou vous êtes pas... la queue leu leu des chalands… »