Montaigne, lettre du 10 septembre 1570 :
« Ma femme […], je vous envoye la Lettre consolatoire de Plutarque à sa femme, traduite par [La Boétie] en François : bien marry dequoy la fortune vous a rendu ce present si propre, & que n'ayant enfant qu'une fille longuement attendue, au boute de quatre ans de nostre mariage, il a falu que vous l'ayez perdue dans le deuxiesme an de sa vie. Mais je laisse à Plutarque la charge de vous consoler, & de vous advertir de vostre devoir en cela, vous priant le croire pour l'amour de moy : Car il vous descouvrira mes intentions, & ce qui se peut alléguer en cela beaucoup mieux que je ne ferois moymesmes. Sur ce, ma femme, je me recommande bien fort à vostre bonne grâce, & prie Dieu qu'il vous maintienne en sa garde.
Vostre bon mary
Michel de Montaigne »
Céline, Voyage au bout de la nuit, Pléiade p. 288-289 :
« Les bouquinistes des quais fermaient leurs boîtes. « Tu viens ! » que criait la femme par-dessus le parapet à son mari, à mon côté, qui refermait lui ses instruments, et son pliant et les asticots. Il a grogné et tous les autres pêcheurs ont grogné après lui et on est remontés, moi aussi, là-haut, en grognant, avec les gens qui marchent. Je lui ai parlé à sa femme, comme ça pour lui dire quelque chose d’aimable avant que ça soye la nuit partout. Tout de suite, elle a voulu me vendre un livre. C’en était un de livre qu’elle avait oublié de rentrer dans sa boîte à ce qu’elle prétendait. « Alors ce serait pour moins cher, pour presque rien... » qu’elle ajoutait. Un vieux petit « Montaigne » un vrai de vrai pour un franc. Je voulais bien lui faire plaisir à cette femme pour si peu d’argent. Je l’ai pris son « Montaigne ».
Sous le pont, l’eau était devenue toute lourde. J’avais plus du tout envie d’avancer. Aux boulevards, j’ai bu un café crème et j’ai ouvert ce bouquin qu’elle m’avait vendu. En l’ouvrant, je suis juste tombé sur une page d’une lettre qu’il écrivait à sa femme le Montaigne, justement pour l’occasion d’un fils à eux qui venait de mourir . Ça m’intéressait immédiatement ce passage, probablement à cause des rapports que je faisais tout de suite avec Bébert. Ah ! qu’il lui disait le Montaigne, à peu près comme ça à son épouse. T’en fais pas va, ma chère femme ! Il faut bien te consoler !... Ça s’arrangera !... Tout s’arrange dans la vie... Et puis d’ailleurs, qu’il lui disait encore, j’ai justement retrouvé hier dans des vieux papiers d’un ami à moi une certaine lettre que Plutarque envoyait lui aussi à sa femme dans des circonstances tout à fait pareilles aux nôtres... Et que je l’ai trouvée si joliment bien tapée sa lettre ma chère femme, que je te l’envoie sa lettre !... C’est une belle lettre ! D’ailleurs je ne veux pas t’en priver plus longtemps, tu m’en diras des nouvelles pour ce qui est de guérir ton chagrin !... Ma chère épouse ! Je te l’envoie la belle lettre ! Elle est un peu là comme lettre celle de Plutarque !... On peut le dire ! Elle a pas fini de t’intéresser !... Ah ! non ! Prenez-en connaissance ma chère femme ! Lisez-la bien ! Montrez-la aux amis. Et relisez-la encore ! je suis bien tranquille à présent ! Je suis certain qu’elle va vous remettre d’aplomb !... Vostre bon mari. Michel. Voilà que je me dis moi, ce qu’on peut appeler du beau travail. Sa femme devait être fière d’avoir un bon mari qui s’en fasse pas comme son Michel. Enfin, c’était leur affaire à ces gens. On se trompe peut-être toujours quand il s’agit de juger le cœur des autres. Peut-être qu’ils avaient vraiment du chagrin ? Du chagrin de l’époque ? »