Basch, Le maître problème de l’esthétique, conclusion (1921) :
« La nature tout entière se met à chanter, à se mouvoir, à danser. Tout en elle, tout en nous, car elle est devenue nous, n’est que source de sentiments, de joie ou de douleur, de tension ou de détente, d’excitation ou de dépression.
‘Tout en elle, tout en nous, car elle est devenue nous’, qu’est-ce que cela veut dire? Cette phrase recèle l’acte esthétique par excellence, l’Einfühlung, ce que j’ai appelé, dans l’Essai Critique sur l’Esthétique de Kant, le symbolisme sympathique, ce que j’ai appelé plus tard l’auto-projection, l’effusion ou plutôt l’infusion, qui serait le terme le plus adéquat s’il ne prêtait à une équivoque risible, c’est-à-dire l’acte de se plonger dans les objets extérieurs, de se projeter, de s’infuser en eux ; d’interpréter les Moi d’autrui d’après notre propre Moi, de vivre leurs mouvements, leurs gestes, leurs sentiments et leurs pensées ; de vivifier, d’animer, de personnifier les objets dépourvus de personnalité, depuis les éléments formels les plus simples jusqu’aux manifestations les plus sublimes de la nature et de l’art ; de nous dresser avec une verticale, de nous étendre avec une horizontale, de nous rouler sur nous-mêmes avec une circonférence, de bondir avec un rythme saccadé, de nous bercer avec une cadence lente, de nous tendre avec un son aigu et nous amollir avec un timbre voilé, de nous assombrir avec un nuage, de gémir avec le vent, nous roidir avec un roc, nous épandre avec un ruisseau, de nous prêter à ce qui n’est pas nous, de nous donner à ce qui n’est pas nous, avec une telle générosité et une telle ferveur que, durant la contemplation esthétique, nous n’avons plus conscience de notre prêt, de notre don, et croyons vraiment être devenus ligne, rythme, son, nuage, vent, roc et ruisseau. »