Bourdet, Les Temps difficiles :
« Si vous étiez une Laroche, une vraie, vous tiendriez de vos
ancêtres le respect qu’ils ont eu pour l’argent ! Oui, pour l’argent !... Ils
ne le jetaient pas par la fenêtre, eux, ils ne le gaspillaient pas, comme vous,
en gestes inutiles. Ils savaient que c’était dur à amasser et que ça valait la
peine d’être conservé, quand ce ne serait que par égard pour leurs prédécesseurs
qui s’étaient échinés à le faire entrer dans la caisse ! Ils ne s’amusaient
pas, ces gens-là, ils ne passaient pas leur temps à chercher comment ils
pourraient bien se distraire. Ils travaillaient ! Il faut choisir dans la vie
entre gagner de l’argent et le dépenser on n’a pas le temps de faire les deux.
Eux, ils choisissaient de le gagner. Et ils prenaient des femmes de leur
espèce, des femmes qui leur ressemblaient, des femmes laides et ennuyeuses,
peut-être, mais sages, économes et capables de tenir une maison. Pas des
amoureuses, bien sûr, ni des mondaines assoiffées de réceptions ; des épouses,
des mères, des associées !... Leurs enfants n’étaient pas toujours très beaux
et leur intérieur manquait de charme. Qu’est-ce que ça fait la maison, on y va
manger et dormir. Pour se distraire, il y a le bureau !... Voilà ce que
c’étaient que les Laroche ! Ils étaient riches. Ils le méritaient... comme vous
méritez d’être pauvre, vous qui leur ressemblez si peu !...»