Duncan, Ma Vie, traduction Allary, Folio p. ? :
"Le deuxième acte commença, et la grande tragédie se déroula devant nous. Après la confiance du jeune roi triomphant vinrent les premiers doutes, les premières inquiétudes. Le désir passionné de savoir la vérité à tout prix, puis la crise suprême. Alors Mounet-Sully dansa. Je voyais enfin ce que j'avais toujours rêvé, la grande figure héroïque de la danse. Nouvel entracte. Je regardai Raymond. Il était pâle, ses yeux brûlaient. Troisième acte. Rien ne saurait le décrire. Seuls ceux qui l'ont vu, ceux qui ont vu le grand Mounet-Sully, peuvent comprendre ce que nous éprou-vâmes. Quand, dans le mouvement final d'angoisse superbe, dans son délire, et dans son paroxysme d'horreur, l'horreur du péché et de l'orgueil blessé, quand, après avoir arraché ses yeux de leur orbite, il comprend qu'il ne verra jamais plus la lumière du jour et que, ayant appelé ses enfants près de lui, il fait sa dernière sortie, alors la vaste salle du Trocadéro, les six mille spectateurs, furent secoués de sanglots. Nous descendîmes, Raymond et moi, l'interminable escalier avec tant de lenteur et tellement à contrecoeur que les gardes durent nous mettre dehors. C'est alors que je compris que je venais de recevoir la grande révélation de l'art. Désormais, je connaissais ma route. Nous rentrâmes à pied, ivres d'inspiration, et pendant des semaines nous vécûmes sur cette impression. J'étais loin de penser qu'un jour je danserais sur la scène aux côtés du grand Mounet."