Apollinaire, Lettres à Lou, 19 mai 1915, Gallimard p. 385-386 :
"Ici, le printemps commence à défleurir et ça me fait un peu de peine. Aujourd'hui cependant j'ai vu une aubépine rose en fleurs, je ne sais pas d'ailleurs si c'est le vrai nom de cet arbre charmant. Il était tout en fleurs, les petites feuilles s'y mêlaient agréablement aux fleurs rouges plutôt que roses et pressées et nombreuses. On aurait dit une œuvre d'art, une plante artificielle ou obtenue par un art particulier comme par exemple chez les Japonais. Car, il y a quelque chose de bien singulier dans les arts raffinés c'est qu'ils produisent des œuvres qui lorsqu'elles ne veulent pas viser au sublime sont bien plus gracieuses, plus belles même que ce que la nature peut produire dans les mêmes proportions et ma foi, un feu d'artifice, aussi, est à première vue bien plus beau que la guerre. C'est là non point une apparence vaine, mais un fait de plaisir immédiat pour nos sens blasés d'hommes qui de fils en pères [sic] sont un peu habitués à la nature ; cependant dès qu'on approfondit on voit qu'il y a dans la nature quelque chose de supérieur à ce qui n'est que l'artifice. C'est la vie même et pour que l'œuvre d'art y atteigne il faut l'inspiration. Et l'inspiration se rencontre rarement dans les œuvres qui ne s'adressent qu'à la joie superficielle des sens. C'est pourquoi il arrive bien souvent que les œuvres inspirées ne sont pas immédiatement agréables.
L'amour aussi est une œuvre d'art et il est plus important qu'il soit animé par l'inspiration qui est la vie même, que d'être, dès l'abord, trop plaisant, trop seulement plaisant."