Mallarmé, La fausse Vieille (adaptation de contes orientaux anglais) :
"L’innocente se croyait seule et tranquillement livrait tout son corps à la curiosité du jeune indiscret. Elle est sortie du bain, assise sur une marche basse de l’escalier de l’étang, pendant que s’évapore chaque goutte, diamants sur elle épars : ce suprême voile flotte aux contours, hésite et disparaît comme un nuage idéal, la laissant plus que nue. Tantôt elle relève les bras en se détirant comme pour faire saillir la rondeur de son sein, tantôt s’amuse au clapotis de l’onde sous ses petits pieds blancs, on dirait que dans leur délice se noieraient une paire de colombes. Puis lentement natte sa chevelure aussi noire que l’abeille de l’Inde. Au bassin maintenant ne s’épanouissent guère de fleurs, d’une main mutine elle attrape une des dernières à sa portée et, dans le naïf miroir, elle sourit et s’admire. Le fils du rajah ne perd rien de ces gracieux badinages : frémissant, il écarte, pour mieux voir, un rameau de figuier qui le cache... Ah ! la voleuse peut cueillir impunément tous les lotus qu’elle voudra : il ne songe pas à la punir."