Gide, lettre à Valéry 1891 p. 84 :
"Nous avons pris une conscience plus profonde du drame en la méditation des Evangiles ; maintenant, ce sont les individus que l'on tue, et malgré soi l'imagination dénombre les foules. Quelle lassitude ! et qu'ils nous auront donc fait du mal ceux qui chrétiennement ont peu à peu sorti chacun de la multitude où d'abord il demeurait confondu ! Que c'est donc fatigant d'être toujours en scène, devant soi-même et devant Dieu quand ce n'est pas devant les autres : tous ! nous sommes tous au premier plan, et notre âme ne se résigne plus à l'humble rôle de comparse, tant ils ont à chacune persuadé que son salut signifiait quelque chose. Ne nous regardez pas toujours ! Nous sommes lassés de postures.
Ce sont vos regards qui nous ont soufflé l'orgueil de paraître. La comédie sans nous n'en sera pas moins jouée, et ce n'est pas nous, tristes mimes, qui vous ferons mieux comprendre.... Que c'est lassant d'être toujours le centre du monde et de supporter autour de soi toujours toute cette gravitation ! Misères ! Quand on a quelque foi, quelque amour, l'on gravite soi-même autour de la chose adorée, en elle l'on s'oublie et le repos est dans l'oubli de soi."