Valéry, Cours de Poétique, 3 février 1945 :
"Nous avons très peu d’action sur notre pensée. Action directe, aucune. Par exemple, il nous est malheureusement impossible d’abolir pour un temps quelconque une idée comme nous fermons les yeux au monde extérieur. Nous avons le droit de nous priver de la vue des choses, en fermant les yeux ou en les bandant, mais quant aux idées, par exemple, qui peuvent nous obséder, nous gêner, nous troubler dans notre travail, et même fussent-elles très importantes, ces idées nous gênent parce qu’elles devraient avoir lieu, ne se produire qu’à telle heure ; alors là, oui, il faudrait qu’elles soient présentes. Pas du tout, c’est actuellement qu’elles me poursuivent. Je fais autre chose, je suis gêné par elles. […]
Nous ne pouvons pas directement agir dans notre pensée. Nous ne pouvons faire qu’une chose : c’est d’essayer de maintenir la question à l’ordre du jour. Essayer par voie indirecte, par conservation ; ou plutôt, c’est par réexcitation obstinée du problème et par le fait de le reprendre sous mille et mille formes différentes que nous pouvons arriver à faire jaillir notre résultat. Le résultat ne sera jamais le fruit du travail que nous effectuerons intérieurement. Le résultat ne montrera pas ce travail, il n’en sera pas l’effet direct, il sera l’effet indirect de la préparation du milieu dans lequel se passe le résultat."