Gracq, Lettrines :
"Presque sous les pieds gicle de partout au coin des sentes le lourd giflement d’ailes du faisan, poussif et ronflant comme une motocyclette à l’allumage, le petit trot basculant et mécanique du lapin secoue et fait étinceler à travers l’herbe les menus derrières candides – l’écureuil flotte et se déroule de branche en branche comme un souple boa de plumes rousses, presque immatériel, le hérisson retourne du museau, avec lenteur et sagacité, le tapis de feuilles sèches. Chaque promenade – et le sentier méandreux vous déroute très vite, vous dévoie du monde habité, – devient une merveilleuse escapade au royaume des fables, où l’on avance le cœur battant un peu au coin de chaque layon ; le passage de l’homme au milieu de la sauvagerie ne propage ici à très courte distance qu’une très faible onde d’alarme, vite refermée derrière lui comme un sillage dans la mer. Cette longue promenade de fin de journée sous le beau soleil jaune et oblique était à proprement parler délicieuse, et la vue la plus approchée jusqu’ici que je connaisse des jardins d’Éden."