vendredi 20 mai 2022

Céline (avant 14)

Céline, Féerie pour une autre fois II : 

"Comme tous les gâteux un peu, je trouve plus guère d'aimable, d'enchantant que le radotage !... ainsi moi ces pyrogénies m'attendrissaient... brutales, certes ! redoutables !... mais elles m'évoquaient le passé... les batailles de fleurs d'avant-guerre... pas de la fausse dernière miniguerre !... la vraie ! la 14 ! l'avenue du Bois que c'était alors ! officiers ! purs sang, piaffants ! et quels landaus ! quelles clientes ! quelles échauffourées d'œillets ! lilas ! roses ! que le soir après la bataille vous aviez une épaisseur d'un mètre de pétales sur l'avenue ! de l'Étoile à la porte Dauphine ! vous pouviez dire : la nation riche !... officiers, jolies femmes et fleurs !... vraies roses, vraies azalées, narcisses... et toutes les clientes du « Passage »... nos clientes... Maman reconnaissait ses guipures, ses voilettes, ses tulles, ses « charlottes »... toutes ses façons « tout à la main »... de ces finesses qu'existent plus... qui d'abord les apprécierait ?... c'est pas les « hâtives » d'aujourd'hui qui vont s'éprendre de dentelles !... autre chose à pickniquer un peu !... des créatures, êtres à moteurs ! à foncer qu'elles sont ! et pteuf ! pteuf !... un coup de frein-ci ! un coup de frein-là ! foncer dans les arbres !... foncer dans les cieux !... foncer dans les caves !... foncer dans tout !... sentir plus rien... voir plus rien... gueuler... fuir plus loin... se fuir... fuir devant la mort... comme c'est elles les mortes, elles se fuient... pardi !... elles arrêtent plus, et pteuf ! pteuf ! pteuf !..."