Ionesco, Le Piéton de l’air :
"Des familles anglaises étaient là, en habits du dimanche, qui regardaient, comme nous, émerveillées, ce pont qu’elles pouvaient cependant voir tous les jours mais qu’elles ne regardaient que les jours de fête. C’est toujours comme cela. En France, on ne le regarderait jamais, bien que l’on prétende que les Français sont les plus grands badauds du monde. En Amérique aussi, il y a des ponts immenses : les Américains les traversent les yeux fermés, c’est pour cela d’ailleurs qu’il y a tellement d’accidents, qu’ils tombent. En Australie aussi, en Russie, il y en a. Mais on ne les voit pas car on ne s’intéresse pas aux ponts : seulement à ce à quoi ils servent. Cela fait que le pont n’existe plus. Il n’y a plus que ce qui n’est pas lui. La conscience de l’utilité est destructrice."
Un texte par jour, ou presque, proposé par Michel PHILIPPON (littérature, philosophie, arts, etc.).