Svevo, Ma Paresse trad. T. Gillybœuf, Allia, 2015
Aujourd'hui, non pas un texte, mais quelques extraits, savoureux, d'une nouvelle à la fois triste et humoristique, puisque les thèmes, entrecroisés, en sont la vieillesse, la maladie, la médecine, la sexualité.
Une autre traduction en a été donnée sous le titre 'Oisiveté', dans : Court voyage sentimental et autres récits, textes choisis et commentés par M. Fusco, trad. de S. Aghion, R. Dadoun, J.-N. Schifano, Paris, Gallimard, 1973
"Ce serait un comble que les autres, qui ne pensent jamais à leurs reins, jouissent d'un bon fonctionnement alors que moi, qui leur fais chaque semaine un sacrifice, je pourrais être récompensé par une attaque."
"Dans cet effort que j'ai fourni pour renoncer au dîner, fumer me fut d'une grande utilité, activité avec laquelle, pour la première fois de ma vie, je me suis réconcilié, y compris sur le plan théorique. Le fumeur sait mieux jeûner que les autres. Une bonne cigarette endort n'importe quel appétit. C'est véritablement au tabac que je dois d'avoir su ramener mon poids à quatre-vingts kilogrammes tout rond. Quelle tranquillité désormais de fumer par mesure hygiénique ! On fume avec la conscience un peu plus sereine. "
"Parmi nos organes, il en est un qui est le centre, pour ne pas dire l'équivalent du soleil dans un système planétaire. Il y a quelques années encore, on pensait que c'était le cœur. Aujourd'hui, tout le monde sait que notre vie dépend des organes sexuels."
"Mère Nature est maniaque et qu'elle a la manie de la reproduction. Elle maintient un organisme en vie tant qu'elle peut espérer qu'il se reproduise. Ensuite de quoi elle le supprime"
"J'ai voulu rouler Mère Nature et lui faire croire que j'étais encore apte à la reproduction : j'ai donc pris une maîtresse"
"J'avais l'impression que cette décision de prendre une maîtresse équivalait à entrer dans une pharmacie."
"Soucieux d'hygiène, j'allais chaque jour me réapprovisionner en cigarettes bien au-delà de la place de l'Unité, ce qui m'obligeait à une promenade de plus d'une demi-heure."
"J'ai toujours l'impression que les autres vieillards sont plus vieux que moi."
"Comparé à lui, j'étais ni plus ni moins un jeune homme. Et qui pis est, il fumait des cigarettes dénicotinisées dépourvues de toute saveur ! J'étais bien plus viril, moi qui avais toujours essayé d'arrêter de fumer, sans jamais avoir eu la faiblesse de penser à prendre des cigarettes dénicotinisées."
"Jaloux, moi ? Plus jamais ! Nous sommes vieux tous les deux. Nous sommes vieux ! Nous pouvons parfois nous octroyer le droit de penser à l'amour. Mais nous ne devons pas nous montrer jaloux parce que nous sombrerions facilement dans le ridicule."
"Le corps du vieillard reste debout parce qu'il ne sait pas de quel côté tomber".
"À mon âge, on ressemble beaucoup au crocodile sur la terre ferme dont on dit qu'il a besoin de beaucoup de temps pour changer de direction."
"Jusque-là, quand le hasard me permettait de rester plus de dix minutes près d'une femme, je sentais sourdre de mon cœur l'espoir et le désir. J'étais certes tenté de celer l'un et l'autre, mais encore plus de les accroître pour mieux sentir la vie et mieux sentir mon appartenance à la vie."
"J'admirais beaucoup ce buste et je pensais pour tromper Mère Nature qui me surveillait : “C'est certain, je ne peux pas encore mourir parce que si cette fillette le voulait, je serais totalement disposé à procréer.”
"Cette duègne qui, en passant près de moi et en me regardant, murmura : “Vieux satyre !” Elle m'avait traité de vieux."