Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes (GF), Encore le haut Gévaudan, II : Une nuit dans la pineraie, traduction Léon Bocquet (GF) :
"La nuit est un temps de mortelle monotonie sous un toit ; en plein air, par contre, elle s'écoule, légère parmi les astres et la rosée et les parfums. Les heures y sont marquées par les changements sur le visage de la nature. Ce qui ressemble à une mort momentanée aux gens qu'étouffent murs et rideaux n'est qu'un sommeil sans pesanteur et vivant pour qui dort en plein champ. La nuit entière il peut entendre la nature respirer à souffles profonds et libres. Même, lorsqu'elle se repose, elle remue et sourit et il y a une heure émouvante ignorée par ceux qui habitent les maisons : lorsqu'une impression de réveil passe au large sur l'hémisphère endormi et qu'au-dehors tout le reste du monde se lève. C'est alors que le coq chante pour la première fois. Il n'annonce point l'aurore en ce moment, mais comme un guetteur vigilant, il accélère le cours de la nuit. Le bétail s'éveille dans les prés ; les moutons déjeunent dans la rosée au versant des collines et se meuvent parmi les fougères, vers un nouveau pâturage. Et les chemineaux qui se sont couchés avec les poules ouvrent leurs yeux embrumés et contemplent la magnificence de la nuit.
Par quelle suggestion informulée, par quel délicat contact de la nature, tous ces dormeurs sont-ils rappelés, vers la même heure, à la vie ? Est-ce que les étoiles versent sur eux une influence ? ou participons-nous d'un frisson de la terre maternelle sous nos corps au repos ? Même les bergers ou les vieilles gens de la campagne qui sont les plus profondément initiés à ces mystères n'essaient pas de conjecturer la signification ou le dessein de cette résurrection nocturne. Vers deux heures du matin, déclarent-ils, les êtres bougent de place. Et ils n'en savent pas plus et ne cherchent pas plus avant. Du moins est-ce un agréable hasard. Nous ne sommes troublés dans notre sommeil, comme le voluptueux Montaigne «qu'afin de le pouvoir mieux savourer et plus à fond». Nous avons un instant pour lever les yeux vers les étoiles. Et c'est, pour certaines intelligences, une réelle jouissance de penser que nous partageons cette impulsion avec toutes les créatures qui sont dehors dans notre voisinage, que nous nous sommes évadés de l'embastillement de la civilisation et que nous sommes devenus de véritables et braves créatures et des ouailles du troupeau de la nature."
Night is a dead monotonous period under a roof; but in the open world it passes lightly, with its stars and dews and perfumes, and the hours are marked by changes in the face of Nature. What seems a kind of temporal death to people choked between walls and curtains, is only a light and living slumber to the man who sleeps afield. All night long he can hear Nature breathing deeply and freely; even as she takes her rest, she turns and smiles; and there is one stirring hour unknown to those who dwell in houses, when a wakeful influence goes abroad over the sleeping hemisphere, and all the outdoor world are on their feet. It is then that the cock first crows, not this time to announce the dawn, but like a cheerful watchman speeding the course of night. Cattle awake on the meadows; sheep break their fast on dewy hillsides, and change to a new lair among the ferns; and houseless men, who have lain down with the fowls, open their dim eyes and behold the beauty of the night.
At what inaudible summons, at what gentle touch of Nature, are all these sleepers thus recalled in the same hour to life? Do the stars rain down an influence, or do we share some thrill of mother earth below our resting bodies? Even shepherds and old country-folk, who are the deepest read in these arcana, have not a guess as to the means or purpose of this nightly resurrection. Towards two in the morning they declare the thing takes place; and neither know nor inquire further. And at least it is a pleasant incident. We are disturbed in our slumber only, like the luxurious Montaigne, ‘that we may the better and more sensibly relish it.’ We have a moment to look upon the stars. And there is a special pleasure for some minds in the reflection that we share the impulse with all outdoor creatures in our neighbourhood, that we have escaped out of the Bastille of civilisation, and are become, for the time being, a mere kindly animal and a sheep of Nature’s flock.