mercredi 12 mai 2021

Woolf (arbre)

 Woolf, La Marque sur le mur, traduction Pléiade p. 887 :

"J'aime à songer à l'arbre lui-même : d'abord la sensation intime de n'être que bois ; puis le grondement de l'orage ; enfin l'écoulement lent et délicieux de la sève. J'aime aussi à songer à l'arbre en hiver, droit dans la nuit au milieu de la campagne déserte, toutes voiles ferlées, impénétrable à la mitraille de la lune, mât dénudé, dressé au-dessus de la terre qui toute la nuit ne cesse de crouler. Quel chant étrange et assourdissant que celui des oiseaux en juin ; qu'elles doivent être froides, les pattes des insectes qui montent péniblement le long des plis de l'écorce ou prennent leur bain de soleil sur la légère bâche verte du feuillage, les facettes de leurs yeux rouges braquées droit devant eux... Une à une les fibres se rompent sous la formidable pression de la terre glacée ; vient alors l'ultime tempête, et dans leur chute, les plus hautes branches s'enfoncent profondément dans le sol de nouveau. Même alors, la vie n'a pas dit son dernier mot ; de par le vaste monde, il existe pour un arbre une multitude de vies à vivre avec patience et concentration, dans des chambres, à bord de navires, en revêtement des sols et des murs des salons où, après le thé, des couples se retirent pour fumer des cigarettes. Quelle mine de pensées apaisantes et heureuses, cet arbre."


I like to think of the tree itself : — first the close dry sensation of being wood ; then the grinding of the storm ; then the slow, delicious ooze of sap. I like to think of it, too, on winter’s nights standing in the empty field with all leaves close-furled, nothing tender exposed to the iron bullets of the moon, a naked mast upon an earth that goes tumbling, tumbling, all night long. The song of birds must sound very loud and strange in June ; and how cold the feet of insects must feel upon it, as they make laborious progresses up the creases of the bark, or sun themselves upon the thin green awning of the leaves, and look straight in front of them with diamond-cut red eyes... One by one the fibres snap beneath the immense cold pressure of the earth, then the last storm comes and, falling, the highest branches drive deep into the ground again. Even so, life isn’t done with ; there are a million patient, watchful lives still for a tree, all over the world, in bedrooms, in ships, on the pavement, lining rooms, where men and women sit after tea, smoking cigarettes. It is full of peaceful thoughts, happy thoughts, this tree.