Valéry, Le Cimetière marin :
"Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt [...]"
Proust, Sodome et Gomorrhe, II :
"[...] l'orange pressée dans l'eau semblait me livrer au fur et à mesure que je buvais, la vie secrète de son mûrissement, son action heureuse contre certains états de ce corps humain qui appartient à un règne si différent, son impuissance à le faire vivre, mais en revanche les jeux d'arrosage par où elle pouvait lui être favorable, cent mystères dévoilés par le fruit à ma sensation, nullement à mon intelligence."
Rilke, Sonnets à Orphée, I, 13 [traduction M.P.]
O, pleine pomme, poire, mandarine
et groseille... Tous ces fruits exprimant
vie et mort dans la bouche... Je devine...
Lisez sur le visage de l'enfant
qui s'en délecte. Cela vient de loin
et en bouche retourne à l'anonyme :
enfuis les mots, des merveilles s'animent
de la pulpe libérées soudain.
Dire la pomme et non son apparence !
Recueillement, d'abord, de la douceur,
qui, légère, s'élève en saveur,
s'éveille, s'éclaire en transparence,
contrepoint de soleil, de terre, d'ici,
sensation, volupté, joie, - merci !
Voller Apfel, Birne und Banane,
Stachelbeere... Alles dieses spricht
Tod und Leben in den Mund... Ich ahne...
Lest es einem Kind vom Angesicht,
wenn es sie erschmeckt. Dies kommt von weit.
Wird euch langsam namenlos im Munde ?
Wo sonst Worte waren, fließen Funde,
aus dem Fruchtfleisch überrascht befreit.
Wagt zu sagen, was ihr Apfel nennt.
Diese Süße, die sich erst verdichtet,
um, im Schmecken leise aufgerichtet,
klar zu werden, wach und transparent,
doppeldeutig, sonnig, erdig, hiesig - :
O Erfahrung, Fühlung, Freude - , riesig !
Keats, lettre du 22 septembre 1819 (Letters, II, 179)
"Talking of Pleasure, this moment I was writing with one hand, and with the other holding to my Mouth a Nectarine -- how good* how fine. It went down all pulpy, slushy, oozy, all its delicious embonpoint melted down my throat like a large, beatified Strawberry."
*(good ? god ? peu lisible)
cité par Claudel Journal Pléiade t. 1 p. 736 ; traduction donnée en note :
"Parler de la somptuosité de ce moment, où j'écris d'une main, pendant que de l'autre je tiens à la bouche un brugnon à la suavité de nectar. Seigneur ! quelle douceur ! Le fruit s'écoulait, moëlleux et pulpeux, fondant, liquéfié, toute sa chair délicieuse se dissolvait en ruisselant sur ma gorge, comme une fraise énorme et luxuriante."
traduction M.P. :
A propos de Plaisir, ce moment où j'écrivais d'une main, et de l'autre portais à ma Bouche une Nectarine - si bonne, succulente. Elle descendait, toute pulpe lentement fondante, toute délice plantureux le long de ma gorge comme une grande Fraise bienheureuse.
Note : "beatified" : dans la pensée romantique, il y a une même volupté-sanctification dans le sujet et dans l'objet, car le romantisme, à l'opposé du cartésianisme, tend à ne pas séparer sujet et objet.
supplément :
Camus, Noces à Tipasa :
"On mange mal dans ce café, mais il y a beaucoup de fruits - surtout des pêches qu'on mange en y mordant, de sorte que le jus en coule sur le menton. Les dents refermées sur la pêche, j'écoute les grands coups de mon sang monter jusqu'aux oreilles, je regarde de tous mes yeux."