O'Connor (Flannery), La récolte [1946] (in Pourquoi ces nations en tumulte ?) trad. C. Fleurdorge :
"Cette fois-ci, pas d'erreur, ça venait ! Ses doigts voletaient fébrilement au-dessus du clavier sans le toucher. Puis, soudain, elle se mit à taper à toute vitesse.
« Lot Motun, disait la machine, appela son chien. » Elle s'arrêta brusquement après le mot « chien ». La première phrase était toujours ce que Miss Willerton réussissait le mieux. « Les premières phrases, disait-elle, lui venaient comme ça. Comme dans un éclair ! Comme dans un éclair ! disait-elle en claquant les doigts, littéralement comme dans un éclair ! » Et c'était à partir de là qu'elle construisait son histoire. « Lot Motun appela son chien », lui était venu automatiquement, et, en relisant la phrase, elle décida que, non seulement Lot Motun était un nom qui convenait très bien à un métayer, mais aussi que lui faire appeler son chien était une excellente chose à faire faire à un métayer. « Le chien dressa les oreilles et s'approcha furtivement de Lot. »
La phrase était déjà tapée quand Miss Willerton s'aperçut de la faute. Il y avait deux fois « Lot » dans le même paragraphe. Ce n'était pas agréable à l'oreille. La machine revint en arrière avec un grincement et Miss Willerton administra trois x à « Lot ». Au-dessus, elle écrivit au crayon : « lui ». Elle pouvait maintenant continuer. « Lot Motun appela son chien. Le chien dressa les oreilles et s'approcha furtivement de lui. » Il y a aussi deux chiens, pensa Miss Willerton. Hum... Mais ça n'avait pas le même effet à l'oreille que deux « Lot », décida-t-elle.
Miss Willerton croyait beaucoup à ce qu'elle appelait « l'art phonétique ». Elle affirmait qu'on lisait autant avec les oreilles qu'avec les yeux. Elle aimait cette façon de présenter la chose. « L'œil, avait-elle dit devant un groupe de l'Union des Filles de la Colonie, compose un tableau qui peut être peint d'un point de vue abstrait, et la réussite d'une entreprise littéraire (Miss Willerton aimait l'expression “entreprise littéraire”) dépend de l'abstraction élaborée par l'esprit et de la qualité tonale (elle aimait aussi “qualité tonale”) enregistrée par l'oreille. » « Lot appela son chien » avait quelque chose de mordant et de pénétrant ; suivi de « Le chien dressa les oreilles et s'approcha furtivement de lui », cela donnait exactement au paragraphe l'impulsion qu'il lui fallait."
It was coming to her now! Certainly! Her fingers plinked excitedly over the keys, never touching them. Then suddenly she began typing at great speed.
“Lot Motun,” the typewriter registered, “called his dog.” “Dog” was followed
by an abrupt pause. Miss Willerton always did her best work on the first sentence. “First sentences,” she always said, “came to her—like a flash! Just like a flash!” she would say and snap her fingers, “like a flash!” And she built her story up from them. “Lot Motun called his dog” had been automatic with Miss Willerton, and reading the sentence over, she decided that not only was “Lot Motun” a good name for a sharecropper, but also that having him call his dog was an excellent thing to have a sharecropper do. “The dog pricked up its ears and slunk over to Lot.” Miss Willerton had the sentence down before she realized her error—two “Lots” in one paragraph. That was displeasing to the ear. The typewriter grated back and Miss Willerton applied three x’s to “Lot.” Over it she wrote in pencil, “him.” Now she was ready to go again. “Lot Motun called his dog. The dog pricked up its ears and slunk over to him.” Two dogs, too, Miss Willerton thought. Ummm. But that didn’t affect the ears like two “Lots,” she decided.
Miss Willerton was a great believer in what she called “phonetic art.” She maintained that the ear was as much a reader as the eye. She liked to express it that way. “The eye forms a picture,” she had told a group at the United Daughters of the Colonies, “that can be painted in the abstract, and the success of a literary venture” (Miss Willerton liked the phrase, ‘literary venture’) “depends on the abstract created in the mind and the tonal quality” (Miss Willerton also liked ‘tonal quality’) “registered in the ear.” There was something biting and sharp about “Lot Motun called his dog”; followed by “the dog pricked up its ears and slunk over to him,” it gave the paragraph just the send-off it needed.