Giono, Faust au village, 1 ('Monologue') :
« L’yeuse ne perd jamais ses feuilles qui sont noires et luisantes et, entre les feuillages, vous voyez tout d’un coup un coin de champ. Jamais vous ne verrez la couleur du champ comme quand vous le regarderez dans le cadre des yeuses. C’est un champ : on en voit mille. C’est, admettons parce que ça m’est arrivé, un endroit où on a ramassé des pommes de terre. Il y a quatre ou cinq sacs pleins et trois femmes penchées sur les sillons. Vous n’avez jamais vu un champ pareil. On dirait du velours. Cela vient de ce qu’on le voit à travers des feuillages noirs. Les cotillons des femmes, il y en a une qui les a d’un rouge vif et l’autre qui se tient droite est entièrement enveloppée dans un sarrau d’un bleu de charrette neuve. Puis, cette femme-là se baisse ; c’en est une autre qui se dresse et on n’a jamais vu de cheveux plus beaux que ces blonds-là mis en pleine lumière. Or, ce n’est jamais que la Catherine Picolet et, si on ne regardait pas ses cheveux d’entre le feuillage noir des yeuses, on n’y ferait même pas attention. Telles qu’elles sont là, dans ce champ de velours, ayant derrière elles un coin de verger, ce rouge, ce bleu, ce blond, c’est très agréable à regarder. »