mardi 19 janvier 2021

Chabrier (unité)

Chabrier, lettre de 1882-1883 : 

“Au total, c’est surtout la forme du livret d’opéra qui a vieilli. Depuis Meyerbeer, c’est toujours le même livret [...] une conversation musicale pendant quatre actes comme on la réclame aujourd’hui doit conduire à une monotonie désespérante : vous avez trois personnages, chacun d’eux a son motif typique ; avec trois motifs symphoniquement développés, vous devez faire votre ouvrage. Voilà ce qu’on veut. Ça m’est égal, je peux le faire, il est certain que l’unité d’une œuvre y gagne ; c’est une entité, mais c’est aussi au détriment de la variété et du rythme, et de mille formes que veut revêtir cet art sublime et dont on se passe bénévolement. Berlioz, français avant tout, il n’était pas vieux jeu à son époque, en mettait-il de la variété, de la couleur, du rythme dans la Damnation, Roméo, L’Enfance du Christ. Ça manque d’unité, vous répond-on ? moi je réponds “merde” ; si pour être un il est fatal d’être ennuyeux, je préfère être deux, trois, quatre, dix, vingt. Je préfère avoir dix couleurs sur ma palette et broyer tous les tons. Et pour cela je ne veux pas refaire éternellement primo un acte d’exposition, secondo, l’acte des dindes avec vocalises de reines, troisièmement l’acte du ballet avec le sempiternel final qui rebrouille les cartes ; quatrièmement, le duo d’amour de rigueur, cinquièmement [...]. 

Sous prétexte d’unité, j’allais dire d’uniformité il y a dans Wagner des quarts d’heures de musique ou récit absolu dont tout être sincère sans parti-pris dépourvu de fétichisme doit trouver chaque minute longue d’un siècle. Ça, je le prouverai, la partition à la main, quand on voudra. On s’en fout. Ce sont des soudures comme sous l’ancien régime pour arriver à des passages plus intéressants, et pas toujours. Moi je veux que ce soit beau partout, et le beau prend 36 formes. S’il ne faut traiter que le gris perle ou le jaune serin avec leurs nuances, ça ne me suffit pas. Et sur le catalogue du Bon Marché, il y a 300 nuances rien que dans les gris perle. Un peu de rouge, nom de Dieu, à bas les gniou-gniou, jamais la même teinte, de la variété, de la forme, de la vie par dessus tout, et de la naïveté si c’est possible, et c'est ça le plus dur !"