mercredi 20 janvier 2021

Diderot (nature et art)

 Diderot, Essai sur la peinture, III, Pléiade 1951 p. 1126 ;   OC CFL t. 6 p. 268 :

"S’il nous arrive de nous promener aux Tuileries, au Bois de Boulogne, ou dans quelque endroit écarté des Champs-Elysées, sous quelques-uns de ces vieux arbres épargnés parmi tant d'autres qu'on a sacrifiés au parterre et à la vue de l'hôtel de Pompadour, s'il nous arrive de nous promener, sur la fin d'un beau jour, au moment où le soleil plonge ses rayons obliques à travers la masse touffue de ces arbres, dont les branches entremêlées les arrêtent, les renvoient, les brisent, les rompent, les dispersent sur les troncs, sur la terre, entre les feuilles, et produisent autour de nous une variété infinie d'ombres fortes, d'ombres moins fortes, de parties obscures, moins obscures, éclairées, plus éclairées, tout à fait éclatantes : alors les passages de l'obscurité à l'ombre, de l'ombre à la lumière, de la lumière au grand éclat, sont si doux, si touchants, si merveilleux, que l'aspect d'une branche, d'une feuille, arrête l'œil et suspend la conversation au moment même le plus intéressant. Nos pas s’arrêtent involontairement ; nos regards se promènent sur la toile magique, et nous nous écrions : “Quel tableau ! oh ! que cela est beau !”. Il semble que nous considérions la nature comme le résultat de l’art ; et, réciproquement, s’il arrive que le peintre nous répète le même enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l’effet de l’art comme celui de la nature. Ce n’est pas au Salon, c’est dans le fond d’une forêt, parmi les montagnes que le soleil ombre et éclaire, que Loutherbourg et Vernet sont grands."