mardi 17 décembre 2019

Cendrars + Rilke (poésie)


Le jeune René Fallet s'essaye à la poésie. Il demande conseil à Cendrars (poète confirmé depuis 1913) qui lui répond, en deux lettres du 28 nov. et du 5 déc 1945.
(source : Lécureur, René Fallet le Braconnier des lettres, pp. 44-45) :

Cendrars : « Mon cher, un poète vole de ses propres ailes, on ne lui donne pas de conseils ! C'est des bobards. Jamais on n'a découvert un poète ; c'est le poète qui se découvre [...].
Cher ami, vous n'avez pas compris parce que vous ne pouvez pas encore savoir, vous, quel miracle est la poésie. Souvenez-vous des petits oiseaux et des lys des champs, ils ne se soucient pas de leur gloire. Ils paraissent, meurent et renaissent. Ça se fait tout seul. Personne n'y peut rien, et celui qui pense intervenir n'est pas un poète. Et cela est et ne trompe personne, malgré les critiques, les éditeurs et le tam-tam. Cela se fait miraculeusement. Croyez-moi, jamais je ne me permettrai d'intervenir en poésie. Il faut se laisser porter. Tout est là. Tout le restant est littérature. Et le succès ça n'existe pas. Ne soyez pas dupe. »

pour mémoire : 
Rilke : Lettres à un jeune Poète p. 33 :
"Ici, je vous adresse une prière. Lisez le moins possible d'ouvrages critiques ou esthétiques. Ce sont, ou bien des produits de l'esprit de chapelle, pétrifiés, privés de sens dans leur durcissement sans vie, ou bien d'habiles jeux verbaux ; un jour une opinion y fait loi, un autre jour c'est l'opinion contraire. Les œuvres d'art sont d'une infinie solitude ; rien n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles. Donnez toujours raison à votre sentiment à vous contre ces analyses, ces comptes rendus, ces introductions. Eussiez-vous même tort, le développement naturel de votre vie intérieure vous conduira lentement, avec le temps, à un autre état de connaissance. Laissez à vos jugements leur développement propre, silencieux. Ne le contrariez pas, car, comme tout progrès, il doit venir du profond de votre être et ne peut souffrir ni pression ni hâte. Porter jusqu'au terme, puis enfanter : tout est là. Il faut que vous laissiez chaque impression, chaque germe de sentiment mûrir en vous, dans l'obscur, dans l'inexprimable, dans l'inconscient, ces régions fermées à l'entendement. Attendez avec humilité et patience l'heure de la naissance d'une nouvelle clarté. L'art exige de ses simples fidèles autant que des créateurs. Le temps, ici, n'est pas une mesure. Un an ne compte pas, dix ans ne sont rien. Etre artiste, c'est ne pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été puisse ne pas venir. L'été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité devant eux. Je l'apprends tous les jours au prix de souffrances que je bénis : patience est tout."

Und es sei hier gleich die Bitte gesagt : Lesen Sie möglichst wenig ästhetisch-kritische Dinge, - es sind entweder Parteiansichten, versteinert und sinnlos geworden in ihrem leblosen Verhärtetsein, oder es sind geschickte Wortspiele, bei denen heute diese Ansicht gewinnt und morgen die entgegengesetzte.
Geben Sie jedesmal sich und Ihrem Gefühl recht, jeder solche Auseinandersetzung, Besprechung oder Einführung gegenüber; sollten Sie doch unrecht haben, so wird das natürliche Wachstum Ihres innern Lebens Sie langsam und mit der Zeit zu anderen Erkenntnissen führen. Lassen Sie Ihren Urteilen die eigene stille, ungestörte Entwicklung, die, wie jeder Fortschritt, tief aus innen kommen muß und durch nichts gedrängt oder beschleunigt werden kann. Alles ist austragen und dann gebären. Jeden Eindruck und jeden Keim eines Gefühls ganz in sich, im Dunkel, im Unsagbaren, Unbewußten, dem eigenen Verstande Unerreichbaren sich vollenden lassen und mit tiefer Demut und Geduld die Stunde der Niederkunft einer neuen Klarheit abwarten: das allein heißt künstlerisch leben: im Verstehen wie im Schaffen.
Da gibt es kein Messen mit der Zeit, da gilt kein Jahr, und zehn Jahre sind nichts, Künstler sein heißt: nicht rechnen und zählen; reifen wie der Baum, der seine Säfte nicht drängt und getrost in den Stürmen des Frühlings steht ohne die Angst, daß dahinter kein Sommer kommen könnte. Er kommt doch. Aber er kommt nur zu den Geduldigen, die da sind, als ob die Ewigkeit vor ihnen läge, so sorglos still und weit. Ich lerne es täglich, lerne es unter Schmerzen, denen ich dankbar bin : Geduld ist alles!