Mercier, Tableau de Paris, chap. CCXCIV : "Épingliers. Cloutiers" :
"Un sauvage admire un clou, & il a raison. C’est à Paris que l’homme observateur voit combien l’art a demandé de combinaisons, d’expériences & de soins. Il faut trente mains & trente outils pour la formation d’une épingle ; vous en aurez mille pour douze sols.
Les aiguilliers-épingliers regardent leur profession comme l’une des plus anciennes, puisqu’ils soutiennent qu’Hénoc en fut l’inventeur.
L’aiguille est nécessaire à presque tous les métiers : pour que l’aiguille ne soit ni molle ni cassante, pour qu’elle reçoive la perfection dont elle est susceptible, il faut plus de vingt opérations, toutes également essentielles & extrêmement délicates. Les cloutiers ont pris S. Cloud pour patron, & les épingliers S. Sébastien, parce que celui-ci fut martyrisé à coups de fleches."
Encyclopédie, § ÉPINGLIER,
s. m. (Commerce.) marchand qui vend des épingles, des clous d’épingles, des touches, des aiguilles, &c.
Les Epingliers à Paris sont un corps gouverné par trois jurés, dont la jurande dure deux ans. On les élit à deux reprises différentes ; au mois de Mai on en élit deux, l’année suivante on élit le troisieme, & ainsi de suite. Les statuts de cette communauté sont très-anciens. Leur principal travail étoit autrefois les épingles : mais depuis que les vivres sont devenus plus chers, & Paris plus peuplé, ils ne les font plus, ils les tirent de Laigle & autres endroits de la Normandie, où les ouvriers sont à meilleur compte.
Encyclopédie, § CLOU :
(article très long et très technique, qui montre bien le souci des procédés de métiers dans l'Encyclopédie)
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/CLOU
et bien sûr le très classique
Smith, Essai sur la Richesse des nations t. 2, G.F. p. 308-309 :
"Les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de l'habileté, de l'adresse et de l'intelligence avec laquelle il est dirigé ou appliqué, sont dues, à ce qu'il semble, à la Division du travail. [...]
Prenons un exemple dans une manufacture de la plus petite importance, mais où la division du travail s'est fait souvent remarquer : une manufacture d'épingles.
Un homme qui ne serait pas façonné à ce genre d'ouvrage, dont la division du travail a fait un métier particulier, ni accoutumé à se servir des instruments qui y sont en usage, dont l'invention est probablement due encore à la division du travail, cet ouvrier, quelque adroit qu'il fût, pourrait peut-être à peine faire une épingle dans toute sa journée, et certainement il n'en ferait pas une vingtaine. Mais de la manière dont cette industrie est maintenant conduite, non seulement l'ouvrage entier forme un métier particulier, mais même cet ouvrage est divisé en un grand nombre de branches, dont la plupart constituent autant de métiers particuliers. Un ouvrier tire le fil à la bobine, un autre le dresse, un troisième coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l'objet de deux ou trois opérations séparées : la frapper est une besogne particulière ; blanchir les épingles en est une autre ; c'est même un métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d'y bouter les épingles ; enfin, l'important travail de faire une épingle est divisé en dix-huit opérations distinctes ou environ, lesquelles, dans certaines fabriques, sont remplies par autant de mains différentes, quoique dans d'autres le même ouvrier en remplisse deux ou trois. J'ai vu une petite manufacture de ce genre qui n'employait que dix ouvriers, et où, par conséquent, quelques-uns d'eux étaient chargés de deux ou trois opérations. Mais, quoique la fabrique fût fort pauvre et, par cette raison, mal outillée, cependant, quand ils se mettaient en train, ils venaient à bout de faire entre eux environ douze livres d'épingles par jour ; or, chaque livre contient au-delà de quatre mille épingles de taille moyenne. Ainsi ces dix ouvriers pouvaient faire entre eux plus de quarante-huit milliers d'épingles dans une journée ; donc, chaque ouvrier, faisant une dixième partie de ce produit, peut être considéré comme donnant dans sa journée quatre mille huit cents épingles. Mais s'ils avaient tous travaillé à part et indépendamment les uns des autres, et s'ils n'avaient pas été façonnés à cette besogne particulière, chacun d'eux assurément n'eût pas fait vingt épingles, peut-être pas une seule, dans sa journée, c'est-à-dire pas, à coup sûr, la deux-cent-quarantième partie, et pas peut-être la quatre-mille-huit-centième partie de ce qu'ils sont maintenant en état de faire, en conséquence d'une division et d'une combinaison convenables de leurs différentes opérations.
Dans tout autre art et manufacture, les effets de la division du travail sont les mêmes que ceux que nous venons d'observer dans la fabrique d'une épingle, quoique dans un grand nombre le travail ne puisse pas être aussi subdivisé ni réduit à des opérations d'une aussi grande simplicité. Toutefois, dans chaque art, la division du travail, aussi loin qu'elle peut y être portée, amène un accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail. C'est cet avantage qui paraît avoir donné naissance à la séparation des divers emplois et métiers."