Queneau, Les Enfants du limon, livre IV, chap. LXXX :
"Au milieu de la nuit Daniel se réveilla peu à peu. Il respirait mal. Ses poumons se durcissaient et semblaient ne plus vouloir fonctionner. Il s’assit dans son lit, aspirant péniblement et ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Par la fenêtre ouverte il vit la masse noire des arbres et les étoiles, la nature nocturne. Il détourna les yeux et regarda le mur obscur en face de lui et le lavabo qui reflétait une vague lueur. Il respirait de plus en plus mal. Il suait. La poitrine penchée contre ses genoux levés, il essayait de prendre une position qui diminuait la suffocation. Il entendit sonner 2 heures, puis 3 heures. Peu à peu l’oppression diminua. Il y avait encore comme une sorte d’âcreté dans la respiration même. Il entendit sonner 4 heures. Il murmura : « Je suis heureux, je suis heureux, je suis heureux."
Queneau, Les Enfants du limon, livre V, chap. CXVIII :
"Depuis quelques jours Daniel sentait l’air se resserrer autour de lui, se rider, se friper. Et ce soir-là lorsque couché il fut sur le point de s’endormir, à l’intérieur de sa poitrine, il sentit l’espace qui se resserrait, se fripait, se ridait, se contractait comme un vieux parchemin. Il se dressa et s’assit dans son lit et se demanda si après une dizaine d’années il allait recommencer à avoir des crises d’asthme. Il se recoucha ; mais sa respiration devenait plus lente, plus pénible, prête à s’immobiliser. Il se dressa de nouveau et s’assit, tout bossu, prenant automatiquement la position de l’asthmatique, celle des momies du Pérou celles qu’on mettait dans des jarres, celle de l’embryon.
Peut-être cela n’allait-il pas venir. Il lui sembla que sa respiration se régularisait. Il s’allongea ; mais bientôt il dut reprendre son attitude fœtale. Il attendit. Il étudiait le rythme de ses inspirations et de ses expirations. […]
Replié sur lui-même, il sentait venir l’étouffement. Lorsqu’il allait à la pêche à La Ciotat, il regardait toujours avec horreur les cabrioles du poisson qui, gueule ouverte, sanglante du hameçon arraché, essayait de saisir un espace respirable dans cette grande masse d’air qui l’angoissait."