Hrabal, La Chevelure sacrifiée, trad. Ancelot, incipit :
"J’aime ces quelques minutes avant sept heures du soir ; armée de chiffons et de papier journal froissé – des vieux numéros de Národní Politika – je nettoie alors les cylindres de verre des lampes ; je mouche les mèches carbonisées avec une allumette, puis je remets en place les petits chapeaux de laiton et, sur le coup de sept heures, survient ce beau moment où s’arrêtent les machines de la brasserie, où la dynamo qui propulse le courant électrique dans toutes les ampoules, la dynamo, donc, commence à ralentir ses révolutions ; au fur et à mesure que l’électricité faiblit, faiblit aussi la lumière des ampoules, lentement la lumière blanche vire au rose et la lumière rose à un gris tamisé à travers les voilages et l’organdi ; puis enfin, les filaments de wolfram au plafond montrent des petits doigts cramoisis et rachitiques, une clé de sol rouge. Alors, j’allume la mèche, je replace le cylindre, je tire sur la languette jaune, je replace l’abat-jour de verre dépoli décoré de roses en porcelaine. J’aime ces quelques minutes avant sept heures du soir, il fait bon pendant ces quelques minutes lever la tête pour voir la lumière se retirer des ampoules comme le sang d’un coq à la gorge tranchée, j’aime regarder cette signature pâlissante du courant électrique et je crains le jour où la brasserie sera raccordée au courant de ville, ce jour où on n’allumera plus toutes ces lampes tempête dans les étables, lampes aux petits miroirs ronds, lampes ventrues aux mèches rondes, le jour où personne ne se souciera plus de leurs lumières car toute cette cérémonie aura fait place à un commutateur semblable au robinet qui a remplacé les jolies pompes d’antan."