Giono, Joselet (incipit), in Solitude de la pitié :
"Joselet s'est assis en face du soleil.
L'autre est en train de descendre en plein feu. Il a allumé tous les nuages ; il fait saigner le ciel sur le bois. Il vendange tout ce maquis d'arbres, il le piétine, il en fait sortir un jus doré et tout chaud qui coule dans les chemins. Quand un oiseau passe dans le ciel il laisse un long trait noir tout enlacé comme les tortillons de la vigne. On entend sonner des cloches dans les clochers des villages, là-bas derrière les collines. On entend rentrer les troupeaux et ceux qui olivaient les dernières olivettes des hautes-terres s'appellent de verger en verger avec des voix qui font comme quand on tape sur des verres.
« Oh ! Joselet, je lui dis.
— Oh ! Monsieur, il me répond sans détourner la tête.
— Alors tu regardes le soleil ?
— Alors oui, vous voyez. »
Le soleil est maintenant en train de se battre avec un gros nuage tout en ventre.
Il le déchire à grands coups de couteau. Joselet a du soleil plein la barbe comme du jus de pêche. Ça lui barbouille tout l'alentour de la bouche. Il en a plein les yeux et plein les joues. On a envie de lui dire : « Essuie-toi. »
« Alors, tu le manges ce soleil ? Je lui dis encore.
— Eh ! Oui, je le mange », dit Joselet.
Vraiment il s'essuie la bouche du revers de la main et il avale sa salive comme s'il l'avait parfumée d'un gros fruit du ciel."