Rivière, Ingres in Etudes (1911) p. 31 :
"C'est un auteur difficile" disait Maurice Denis. D'abord il semble froid. Tout dans ces toiles est si parfaitement défini. Ingres ne nous demande jamais de le deviner, de reprendre sa tâche, de la compléter avec notre regard ; il a tout achevé avant nous ; il ne confie rien à notre invention ; il nous laisse passifs. On dirait qu'il nous dédaigne un peu, que, parlant à des gens qui ne sont pas de son métier, il leur refuse le droit de collaborer, même pour une part infime, à son œuvre. Il y ajoute lui-même avec soin je ne sais quel vernis qui en interdit l'interprétation.
Aussi sommes-nous d'abord devant ses tableaux pleins d'un contentement glacé. Voici qui est juste et louable, mais à la façon d'une belle sentence rendue par un juge incorruptible. Cette couleur, jamais on ne la trouve défaillante. Elle est nette, elle est découpée avec exactitude par ses limites ; à chaque objet elle est départie avec propriété. Les reflets eux-mêmes et les transparences sont scrupuleusement établis. — Aucune vibration ; et non plus cette terne et dense profondeur qu'inventa plus tard Cézanne. La peinture du Bain Turc est admirable ; mais on ne la voit pas tant elle est terminée ; et la hardiesse de ces nus, l'un tout vert, l'autre tout orangé, se dissimule sous la perfection du détail. Même quand la couleur force l'attention, c'est par une sorte d'acidité immobile. Les tons tiennent la toile ; ils occupent, inflexibles, sa surface ; ils ne faiblissent nulle part, nulle part ne s'évanouissent ; ils restent."