Nabokov, Guide de Berlin, 2. Le tramway, in Nouvelles complètes, éd. Quarto p. 275 :
"Le tram à chevaux a disparu et le trolley disparaîtra aussi, et quelque écrivain berlinois excentrique dans les années vingt du XXIe siècle, désirant dresser un tableau de notre époque, ira dans un musée d’histoire de la technologie pour trouver un tramway vieux d’un siècle, jaune, lourdaud, aux sièges incurvés à l’ancienne, et dénichera, dans un musée de vieux costumes, un uniforme noir de receveur orné de boutons brillants. Puis il rentrera chez lui pour décrire les rues du Berlin d’autrefois. Chaque chose, chaque détail seront précieux et chargés de sens : la sacoche du receveur, la réclame au-dessus de la fenêtre, ce mouvement cahotant bien particulier qu’imagineront peut-être nos arrière-arrière-petits-enfants, tout sera anobli et légitimé par l’âge.
Je crois que c’est en cela que réside tout le sens de la création littéraire : dans l’art de décrire des objets ordinaires tels que les réfléchiront les miroirs bienveillants des temps futurs ; dans l’art de trouver dans les objets qui nous entourent cette tendresse embaumée que seule la postérité saura discerner et apprécier dans les temps lointains où tous les petits riens de notre vie simple de tous les jours auront pris par eux-mêmes un air de fête, le jour où un individu ayant revêtu le veston le plus ordinaire d’aujourd’hui sera déguisé pour un élégant bal masqué."
The horse-drawn tram has vanished, and so will the trolley, and some eccentric Berlin writer in the twenties of the twenty-first century, wishing to portray our time, will go to a museum of technological history and locate a hundred-year-old streetcar, yellow, uncouth, with old-fashioned curved seats, and in a museum of old costumes dig up a black, shiny-buttoned conductor’s uniform. Then he will go home and compile a description of Berlin streets in bygone days. Everything, every trifle, will be valuable and meaningful: the conductor’s purse, the advertisement over the window, that peculiar jolting motion which our great-grandchildren will perhaps imagine – everything will be ennobled and justified by its age.
I think that here lies the sense of literary creation: to portray ordinary objects as they will be reflected in the kindly mirrors of future times; to find in the objects around us the fragrant tenderness that only posterity will discern and appreciate in the far-off times when every trifle of our plain everyday life will become exquisite and festive in its own right: the times when a man who might put on the most ordinary jacket of today will be dressed up for an elegant masquerade.