Huysmans, Trois primitifs, § Les Grünewald du musée de Colmar ; Crucifixion d'Issenheim :
"Au milieu du tableau, un Christ géant, disproportionné, si on le compare à la stature des personnages qui l'entourent, est cloué sur un arbre mal décortiqué, laissant entrevoir par places la blondeur fraîche du bois, et la branche transversale, tirée par les mains, plie et dessine, ainsi que dans le Crucifiement de Carlsruhe, la courbe bandée de l'arc ; le corps est semblable dans les deux œuvres ; il est livide et vernissé, ponctué de points de sang, hérissé, tel qu'une cosse de châtaigne, par les échardes des verges restées dans les trous des plaies ; au bout des bras, démesurément longs, les mains s'agitent convulsives et griffent l'air ; les boulets des genoux rapprochés cagnent, et les pieds, rivés l'un sur l'autre par un clou, ne sont plus qu'un amas confus de muscles sur lequel les chairs qui tournent et les ongles devenus bleus pourrissent ; quant à la tête, cerclée d'une couronne gigantesque d'épines, elle s'affaisse sur la poitrine qui fait sac et bombe, rayée par le gril des côtes. Ce Crucifié serait une fidèle réplique de celui de Carlsruhe si l'expression du visage n'était autre. Jésus n'a plus, en effet, ici, l'épouvantable rictus du tétanos ; la mâchoire ne se tord pas, elle pend, décollée, et les lèvres bavent."