mardi 5 avril 2022

Nabokov (glissando)

Nabokov, Autres Rivages, XI, 1 Pléiade p. 275 :

"Un instant plus tard mon premier poème fusa. Qu'est-ce qui le déclencha ? Je crois le savoir. En l'absence de tout vent, du fait simplement de son poids, une goutte de pluie, brillant comme un luxe parasite sur une feuille en forme de cœur, en fit plonger la pointe, et ce qui avait l'aspect d'une gouttelette de mercure exécuta un brusque glissando en suivant la nervure centrale, et alors, ayant perdu son lumineux fardeau, la feuille soulagée se redressa. « Lisse, diamant, glisse, soulagement » – l'instant que prit tout cela à se produire me sembla être non pas tant une fraction de temps qu'une fissure dans le temps, un battement de cœur suspendu, aussitôt récompensé par un crépitement de rimes. Je dis bien : « crépitement », car, lorsque souffla une rafale, les arbres se mirent avec entrain à dégoutter tous à la fois, imitant la récente pluie torrentielle aussi grossièrement que la strophe que déjà je murmurais ressemblait au spasme d'émerveillement que j'avais ressenti quand, l'espace d'un instant, cœur et feuille n'avaient plus fait qu'un."


A moment later my first poem began. What touched it off? I think I know. Without any wind blowing, the sheer weight of a raindrop, shining in parasitic luxury on a cordate leaf, caused its tip to dip, and what looked like a globule of quicksilver performed a sudden glissando down the center vein, and then, having shed its bright load, the relieved leaf unbent. Tip, leaf, dip, relief—the instant it all took to happen seemed to me not so much a fraction of time as a fissure in it, a missed heartbeat, which was refunded at once by a patter of rhymes: I say “patter” intentionally, for when a gust of wind did come, the trees would briskly start to drip all together in as crude an imitation of the recent downpour as the stanza I was already muttering resembled the shock of wonder I had experienced when for a moment heart and leaf had been one.