jeudi 11 juin 2020

Chesterton (héritage)


Chesterton, L’amour romantique, trad. Reinharez, Actes Sud, p. 309 : 

"L’idée de préserver des choses différentes côte à côte, de donner une place convenable et proportionnée à chacune, de sauver tout entier l'héritage varié de la culture, ne semble pas effleurer le monde moderne. Rien ne l'effleure, sinon l'idée de simplifier quelque chose en détruisant presque tout. Que ce soit Rousseau brisant des royaumes au nom de la raison, Byron brisant des familles au nom de la romance, ou Shaw brisant des romances au nom de la sincérité et de la formule d'Ibsen*. Pour ma part, je fais très grand cas de la magnifique illumination d'amour romantique du XIXe siècle, tout comme je fais grand cas du magnifique idéal de la juste raison et de la dignité humaine du XVIIIe siècle, de la véhémence du XVIIe siècle, de l'expansion du XVIe siècle, ou de la logique divine et de la bravoure enthousiaste du Moyen Age. Je ne vois pas pourquoi il faudrait perdre ou mépriser la moindre de ces conquêtes culturelles, ni pourquoi il est nécessaire pour chaque mode de balayer tout ce qu'il y a de meilleur dans toutes les autres."


* la formule (« L’amour suffit », « Love is enough ») est de William Morris.


All I survey (On Love)

The modern world seems to have no notion of preserving different things side by side, of allowing its proper and proportionate place to each, of saving the whole varied heritage of culture. It has no notion except that of simplifying something by destroying nearly everything; whether it be Rousseau breaking up kingdoms in the name of reason, or Byron breaking up families in the name of romance, or Shaw breaking up romances in the name of frankness and the formula of Ibsen. I myself value very highly the great nineteenth-century illumination of romantic love, just as I value the great eighteenth-century ideal of right reason and human dignity, or the seventeenth-century intensity, or the sixteenth-century expansion, or the divine logic and dedicated valour of the Middle Ages. I do not see why any of these cultural conquests should be lost or despised, or why it is necessary for every fashion to wash away all that is best in every other.