Céard, Terrains à vendre [1906] p. 526-527 :
« Sur le clavier, sous les doigts de Malbar, la phrase initiale de l'adagio, œuvre 12, numéro 3, s'éleva doucement, pareille à un paisible chant d'espérance et de foi.
Le violon, ensuite, redit le thème. Mais, comme pendant l'été, on entend des grondements de tonnerre dans un ciel sans nuage, les basses du piano l'accompagnaient de traits martelés et menaçants, au-dessus desquels la mélodie, quand même, prenait son vol et planait.
À mesure, cependant, elle s'attristait, semblait prise de crainte. Elle s'affolait, se perdait, se cherchait en criant parmi les intervalles mineurs, haletant d'impatience dans la difficulté de reprendre sa sérénité première, elle ne retrouvait plus qu'une joie tourmentée. Le violon, maintenant, en phrases entrecoupées, se lamentait au battement funèbre des arpèges; ses inquiétudes changeant de ton, ainsi qu'un malade change de place en son lit de souffrance, ne rencontraient plus qu'un apaisement imparfait et momentané.
Laguépie, la corde à l'archet, tenant les sons, détachant scrupuleusement les soupirs, avec son instrument, emplissait le salon d'une telle angoisse que les coeurs des auditeurs se serraient de malaise. Tous, ils espéraient comme une délivrance la modulation dernière qui, ramenant le motif principal, donnerait enfin du repos à leurs nerfs trop tendus. La modulation se préparait. On l'entendait venir dans les accords du piano plus légers et plus clairs. Un sol vibrait gaiement dans les octaves liantes : le calme et l'espoir ne tarderaient pas à renaître, quand un bruit sec se fit entendre. Une corde, en sifflant, s'enroula sur la volute du violon. Influencée par l'humidilé de la nuit, la chanterelle s'était cassée.
Le piano se tut. Tous restaient sans haleine, souffraient comme d'un manque d'air de cette mélodie demeurée sans conclusion. »