mercredi 19 février 2020

Fante (cuisine)


Fante, Les Compagnons de la grappe trad. Matthieussent, 10 x 18 :

p. 72 : 
« L’aubergine frite m’a ramené vers mon enfance, où ce légume qui coûtait dix cents pièce constituait un vrai festin, vers les merveilleuses rondelles violacées qui grésillaient dans l’huile magique, vers de riches oncles arabes désireux de remplir nos estomacs, des souvenirs si beaux que j’en aurais pleuré. 
Les minces tranches de veau m’ont mis les larmes aux yeux alors que je les accompagnais du vin délicieux de Joe Musso, issu des collines voisines. Les gnocchis préparés au beurre et au lait ont eu enfin raison de moi. Je me suis caché les yeux au-dessus de mon assiette et j’ai pleuré de joie en essuyant mes larmes avec ma serviette, gargouillant comme dans le ventre de ma mère, leur goût onctueux m’a rempli la bouche d’une vie paisible et intemporelle. Elle a remarqué mes yeux pleins de larmes, je n’ai pas pu lui cacher la vérité. »
« The baked eggplant took me back to the childhood of my life when they were a nickel apiece and a great feast, purple globular marvels bulging jolly and generous, rich Arab uncles eager to fill our stomachs, so beautiful I wanted to cry. 
The thin slices of veal had me fighting tears again as I washed them down with Joe Musso’s magnificent wine from the nearby foothills. And the gnocchi prepared in butter and milk finally did it. I covered my eyes over the plate and wept with joy, sopping my tears with a napkin, gurgling as if in my mother’s womb, so sweet and peaceful and filling my mouth with life forever. She saw my wet eyes, for there was no hiding them. »

p. 78-79 : 
« La cuisine. La cucina, notre vraie mère patrie, la grotte chaude de la bonne sorcière au fin fond du pays désolé de la solitude, ses chaudrons pleins de délicieuses potions qui mijotent sur le feu, une caverne d’herbes magiques, le thym et le romarin, la sauge et l’origan, le baume du lotus qui rend la raison aux aliénés, la paix aux angoissés, la joie aux affligés, cet univers exigu et clos, les fourneaux en guise d’autel, le cercle magique de la nappe à carreaux où les enfants se nourrissaient, ces vieux enfants ramenés à leurs débuts, car le goût du lait maternel hantait toujours leur mémoire, son parfum s’attardait dans leurs narines, leurs yeux se mettaient à briller, et la méchanceté du monde s’évanouissait quand la vieille sorcière maternelle protégeait sa progéniture contre les loups qui rôdaient au-dehors. »
« The kitchen. La cucina, the true mother country, this warm cave of the good witch deep in the desolate land of loneliness, with pots of sweet potions bubbling over the fire, a cavern of magic herbs, rosemary and thyme and sage and oregano, balm of lotus that brought sanity to lunatics, peace to the troubled, joy to the joyless, this small twenty-by-twenty world, the altar a kitchen range, the magic circle a checkered tablecloth where the children fed, the old children, lured back to their beginnings, the taste of mother’s milk still haunting their memories, fragrance in the nostrils, eyes brightening, the wicked world receding as the old mother witch sheltered her brood from the wolves outside. »