Ramuz vu par Starobinski : Le Contre (article de 1945 revu en 2000)
Ce que j’aime chez Ramuz, c’est que, parmi tous les écrivains de la terre, il n’ait pas cherché à en donner une perception euphorisante. Il n y cherche aucun bercement, aucune ivresse rassurante. Il prête attention, plutôt, aux moments où se rompt le pacte entre les hommes et leur milieu. “La nature est partout violente, écrit Ramuz dans Besoin de grandeur, elle est même ici à son comble de violence, on veut dire à son comble d’instabilité, étant en même temps tout échafaudée et sans cesse tirée vers en bas”. L’aigle et le glacier n’obéissent qu’à leurs propres lois, et au-dessus de ces lois particulières, il y a une “loi des lois”
"[…] qui est qu’on doive aller de plus de vie vers toujours moins de vie, qui est qu’on doive voir tomber toutes choses et nous y compris, qui est qu’on tende vers en bas sans cesse et que la montagne tende vers en bas ; comme il apparaît bien d’ailleurs, car les eaux qui en descendent l’entraînent incessamment avec elles ; et maintenant, écoute : que signifient ces rires, ces ricanements continuels, ces chuchotements, ces grondements (quand une petite pierre cède à son poids contre la pente, quand l’avalanche se met à glisser quittant un point plus élevé pour un point moins élevé, quand le glacier se fend par le milieu, ou bien c’est un sérac qui longtemps chancelle et balance comme un arbre, avant de s’écrouler les racines en l’air), ces bruits de la montagne qui prédisent sa fin ?"
cf.
Ramuz, Présence de la mort chap. 23 Pléiade t. 2 p.67 :
"On avait construit dans le temps ; on voit que c'est le propre écroulement du temps qui fait que tout s'est écroulé"