dimanche 23 mai 2021

Thompson + Agee + Barber (soir)


Thompson Jim, 1275 Âmes, chap. XI, trad. Duhamel (1966) :

"Je m’étale sur le lit, après avoir replié la couverture, pour ne pas la salir avec mes bottes. Par la fenêtre ouverte, j’entends chanter les criquets comme toujours après la pluie. De temps en temps, un crapaud lâche un corrouah retentissant, comme une grosse caisse battant la mesure. Tout à l’autre bout du pays, quelqu’un tire de l’eau à la pompe, plomp pchchch… plomp pchchch, pendant qu’une femme appelle son mioche : Henry Clay, ououh, Hen Clay Houston ! veux-tu rentrer tout de suite ! L’odeur de terre mouillée monte dans l’air, et j’en connais pas de meilleure. Et puis… et puis tout est merveilleux, tout est chouette."


Thompson Jim, Pottsville, 1280 Habitants, chap XI, trad. Gratias (2016) :

"Je m’allonge sur mon lit, après avoir replié la courtepointe pour ne pas la salir avec mes bottes. La fenêtre est ouverte, et j’entends les grillons qui chantent, comme ils le font toujours après la pluie. De temps en temps, une grenouille-taureau lance un coassement grave ; on dirait un batteur qui marque le tempo à la grosse caisse. À l’autre bout de la ville, quelqu’un tire de l’eau à la pompe, plome-ouiche, plome-ouiche, et on entend une mère qui appelle son môme : Henry Clay ! Ohé, Henry Clay Houston ! Rentre à la maison, maintenant ! Et l’air est envahi par l’odeur de la terre trempée de pluie, l’odeur la plus agréable qui soit. Et… et tout est parfait."


Thompson Jim, Pop. 1280 chap XI (1964) :

I stretched out on the bed, with the spread turned back so that my boots wouldn’t soil it. The window was open, and I could hear the crickets singing, like they always do after a rain. Now and then a bullfrog would sound off with a loud kerrumph, like a bass drummer keeping time. Way off across town, someone was pumping water, p-plump, whish, p-plump, whish, and you could hear some mother calling her kid, “Henry Clay, oooh, Hen-ry Clay Houston ! You come home now !” And the smell of fresh-washed soil was in the air, just about the nicest smell there is. And…and everything was fine.



Agee, Knoxville, Summer of 1915 [1938]

[source : Amazon Web Services ; traduction non-créditée, avec quelques coupures]

"... C’était l’heure de la journée où les gens s’assoyaient sur la galerie, se balançaient et parlaient doucement tout en regardant la rue, les arbres et ces paradis suspendus d’oiseaux, les hangars qui s’élevaient dans leur sphère de possession. Les gens et les choses allaient et venaient. Un cheval, tirant une carriole, brisant de ses pas sur l’asphalte la monotonie du métal résonnant ; une voiture bruyante ; une voiture silencieuse ; des gens marchant deux par deux, sans presse, le pas traînant, balançant le poids de leur corps estival, parlant sans gêne, entourés d’un parfum de vanille, de fraise, de carton et de lait amidonné, l’image même d’amoureux et de cavaliers encadrés de clowns d’un ambre transparent. Le gémissement métallique d’un tram ; le tram arrêté, puis qui sonne sa cloche et repart, soufflant, secouant sa torpeur puis laissant monter encore la plainte du fer. Devant nos yeux coule sa succession incessante de fenêtres dorées et de sièges de paille tandis qu’au-dessus résonne le crépitement des étincelles, comme un petit mauvais génie attaché à ses rails ; le gémissement de fer s’élève en même temps que la vitesse ; il s’élève encore un peu, puis retombe, s’arrête, le son de la cloche est lointain ; le bruit s’élève à nouveau, puis retombe, encore et encore ; il disparaît, oublié. L’heure est à la rosée du soir.

L’heure est à la rosée du soir, mon père a vidé et rangé le tuyau d’arrosage.

Un chatoiement de lueurs palpite au ras des pelouses [...].

Les parents se balancent sur la galerie. Sur des fils humides pendent les visages antiques des volubilis.

Le crépitement sec et exalté des cigales envahit l’air et enchante immédiatement mes oreilles.

Sur l’herbe broussailleuse et humide de la cour, mon père et ma mère ont étendu des courtepointes. Nous y voilà tous étendus, mon père, ma mère, mon oncle, ma tante et moi aussi [...]. Ils ne parlent pas beaucoup, et encore à voix basse, de rien de particulier, de vraiment rien de particulier, de rien du tout. Les étoiles semblent immenses et vivantes ; on dirait qu’elles nous sourient avec beaucoup d’affection ; elles semblent si près. Tous mes proches sont des corps plus grands que moi [...] avec leur voix douce et insignifiante comme la voix des oiseaux qui sommeillent. L’un d’eux est un artiste qui habite à la maison. Une autre est musicienne, elle habite à la maison. Une est ma mère qui est bonne pour moi. Un est mon père qui est bon pour moi. Les voici tous, par hasard, sur cette terre ; et qui donc nous dira la peine d’être là, couchés sur ces courtepointes, sur l’herbe, par un soir d’été, parmi les bruits de la nuit. Que Dieu bénisse mes proches, mon oncle, ma tante, ma mère, mon bon père. Ah! Souvenez vous d’eux dans leurs heures difficiles ; et à l’heure de leur disparition.

Un peu plus tard, on m’emporte dans mon lit. Le sommeil souriant m’attire ; et eux qui me reçoivent et me traitent avec douceur, comme un être cher de la maison ; mais jamais, oh non jamais, ni maintenant, ni plus tard, je ne leur dirais qui je suis.


V.O. sans coupures : 


« [...] It has become that time of evening when people sit on their porches, rocking gently and talking gently and watching the street and the standing up into their sphere of possession of the trees, of birds hung havens, hangars. People go by ; things go by. A horse, drawing a buggy, breaking his hollow iron music on the asphalt ; a loud auto ; a quiet auto ; people in pairs, not in a hurry, scuffling, switching their weight of aestival body, talking casually, the taste hovering over them of vanilla, strawberry, pasteboard and starched milk, the image upon them of lovers and horsemen, squared with clowns in hueless amber. A street car raising its iron moan ; stopping, belling and starting ; stertorous ; rousing and raising again its iron increasing moan and swimming its gold windows and straw seats on past and past and past, the bleak spark crackling and cursing above it like a small malignant spirit set to dog its tracks ; the iron whine rises on rising speed ; still risen, faints ; halts, the faint stinging bell ; rises again, still fainter, fainting, lifting, lifts, faints forgone: forgotten. Now is the night one blue dew.

Now is the night one blue dew, my father has drained, he has coiled the hose.

Low on the length of lawns, a frailing of   fire who breathes.

Content, silver, like peeps of light, each cricket makes his comment over and over in the drowned grass.

A cold toad thumpily flounders.

Within the edges of damp shadows of side yards are hovering children nearly sick with joy of fear, who watch the unguarding of a telephone pole.

Around white carbon corner lamps bugs of all sizes are lifted elliptic, solar systems. Big hardshells bruise themselves, assailant: he is fallen on his back, legs squiggling.

Parents on porches: rock and rock: From damp strings morning glories : hang their ancient faces.

The dry and exalted noise of the locusts from all the air at once enchants my eardrums.

On the rough wet grass of the back yard my father and mother have spread quilts. We all lie there, my mother, my father, my uncle, my aunt, and I too am lying there. First we were sitting up, then one of us lay down, and then we all lay down, on our stomachs, or on our sides, or on our backs, and they have kept on talking. They are not talking much, and the talk is quiet, of nothing in particular, of nothing at all in particular, of nothing at all. The stars are wide and alive, they seem each like a smile of great sweetness, and they seem very near. All my people are larger bodies than mine, quiet, with voices gentle and meaningless like the voices of sleeping birds. One is an artist, he is living at home. One is a musician, she is living at home. One is my mother who is good to me. One is my father who is good to me. By some chance, here they are, all on this earth ; and who shall ever tell the sorrow of being on this earth, lying, on quilts, on the grass, in a summer evening, among the sounds of night. May god bless my people, my uncle, my aunt, my mother, my good father, oh, remember them kindly in their time of trouble ; and in the hour of their taking away.

After a little I am taken in and put to bed. Sleep, soft smiling, draws me unto her: and those receive me, who quietly treat me, as one familiar and well-beloved in that home: but will not, oh, will not, not now, not ever ; but will not ever tell me who I am. »


mis en musique par Samuel Barber en 1948 :


- notice Wikipedia : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Knoxville:_Summer_of_1915


- exécution :

- avec partition 

https://www.youtube.com/watch?v=1uq1st54E6Q


- sans partition (Renée Fleming) :

https://www.youtube.com/watch?v=LzDAkA67ZsY