Albaret (Céleste), Monsieur Proust, chap. 3 :
"C'était tout un rite. D’abord, il n’était pas question de se servir d’une autre espèce de café que du Corcellet. Et il fallait en plus aller le chercher là où on le torréfiait, dans une boutique du XVIIe arrondissement, rue de Lévis, pour être bien sûr qu’il soit frais et bon, avec tout son arôme. Ensuite, il y avait le filtre, qui était aussi un filtre Corcellet, et il n’était pas non plus question d’en changer – même le petit plateau était Corcellet. On bourrait le filtre de café moulu très fin, très serré, et pour obtenir l’essence que voulait M. Proust, l’eau devait passer lentement, longtemps, goutte à goutte, pendant qu’on maintenait le tout au bain-marie, naturellement. Et il fallait la mesurer pour que cela donne deux tasses, juste le contenu de la petite cafetière en argent – de façon qu’il y en ait un peu en réserve, comme je l’ai déjà dit, si M. Proust désirait en reprendre, après son premier café, qui représentait la valeur d’une forte tasse.
[....] Si l’heure dite était passée et que le coup de sonnette se fît attendre, il fallait recommencer l’opération du filtre, en calculant son temps pour s’y prendre assez tôt, car, soit que l’essence eût passé trop vite ou qu’elle fût restée trop longtemps tenue au bain-marie, de toute façon, me racontait Nicolas, M. Proust ne manquerait pas de faire remarquer : « Ce café est infect ; tout le parfum est parti. »
Enfin, il y avait le lait. On le livrait tous les matins, d’une crémerie du quartier. Comme le café, il fallait qu’il soit frais. On le trouvait déposé devant la porte de la cuisine, sur le palier du petit escalier de service pour être sûr qu’il n’y ait pas de bruit de sonnette ou autre qui vînt déranger le sommeil ou le repos de M. Proust. Sur le coup de midi, la crémière revenait voir si l’on avait retiré les bouteilles. Sinon, elles les remportait et les renouvelait."