Ryckmans (Simon Leys), Poésie et peinture - Aspects de l’esthétique chinoise classique (Revue d’esthétique n°5, 1983) :
« La substance matérielle du coup de pinceau, la substance sonore de la note de musique sont parfois allégées, amincies, pour mieux dévoiler le geste qui est à leur origine et qui les sous-tend (dans la calligraphie et la peinture, le coup de pinceau est alors tracé avec une charge d'encre délibérément insuffisante, en sorte que, sur le papier, l'encrage apparaisse déchiré de « blancs » qui révèlent le dynamisme interne du trait ; cette technique s'appelle « fei-bai », c'est-à-dire « blanc-volant »).
La littérature elle aussi a ses « blancs » qui, tantôt servent d'articulation à la composition, tantôt permettent au poème de suggérer l'existence indicible d'un au-delà du poème. Dans une certaine mesure, la littérature occidentale connaît également ces deux usages du vide : Virginia Woolf offrant à Vita Sackville-West « la plus belle de ses œuvres » sous forme d'un volume splendidement relié dont toutes les pages étaient blanches, peut fournir une bonne illustration de cette seconde fonction. Quant au vide utilisé comme une technique de composition, Proust, en a subtilement identifié la pratique chez Flaubert : « A mon avis, la chose la plus belle de L’Éducation sentimentale n’est pas une phrase, mais mais un ‘blanc’ »