Goncourt, Journal mai 1859, éd. Cabanès t. 2 p. 232 :
« La nature, ou plutôt la campagne, a toujours été ce que l’a faite l'humanité. Ainsi au XVIII° siècle, elle n'était pas ce pays romanesque, cette patrie de rêverie, teinte du panthéisme d'un dimanche de bourgeois, la nature poétisée, ossianisée, dépeignée, décoiffée par Bernardin de Saint-Pierre et le paysage moderne. Elle n'avait ni la signification morale, ni l'aspect matériel de la campagne moderne, du jardin anglais par exemple, avec son imprévu, son caprice, son élégie, son sans-façon et ses sites à la Julie de Rousseau. La campagne était alors, matériellement, le jardin français ; moralement plutôt quelque chose comme la campagne antique, la campagne d'Horace, un repos, une excuse de paresse, la délivrance des affaires, les vacances et les récréations de la causerie. Le jardin français ! - il faut en sentir et retrouver les agréments dans cet ordre d'idées du temps ; - le jardin français avec sa rectitude, sa clarté, ses allées sans détour, tous ses angles se montrant les uns aux autres, ses mystères qui n'étaient jamais que des apartés ; le jardin français où l'arbre n'était qu'une ligne, un mur, un fond, une tenture et une ombre ; le jardin français était un salon meublé d'un bout à l'autre de jupes, d'habits gais, de voix rieuses, vues et entendues à tout bout d'allées, et sauvant la nature de la mort, de l'ennui, de l'immobilité, de la monotonie de la verdure, du beau temps, montrant l'homme et la femme, et dissimulant Dieu. »