Tournier, Préface à Th. Mann, Doktor Faustus :
« Rien de plus constant dans toute l’oeuvre de Thomas Mann que ce thème de l’initiation par la maladie ; il la parcourt comme un fil rouge tantôt à peine visible, tantôt éclatant. Mais il s’en faut que l’initiation morbide ait abouti d’emblée dans l’univers mannien à une création géniale et universelle. Bien au contraire, c’est sur l’échec, la dérision et l’horreur que la maladie débouche dans nombre d’oeuvres antérieures au chef-d’oeuvre des dernières années. Dans La Mort à Venise, par exemple, l’écrivain Aschenbach succombe à l’atmosphère pestilentielle de la Lagune pour avoir contemplé face à face la Beauté dans la personne du petit Tadziu. À l’origine, La Montagne magique est un grand roman qui marque un progrès décisif du thème initiatique. Certes la société cossue et cosmopolite est la même à Venise et à Davos, et la mort a rendez-vous avec Castorp comme avec Aschenbach. Mais est-ce l’influence des sommets alpins dont l’atmosphère pure et légère est l’exacte antithèse des miasmes de la Lagune ? Castorp trouve au terme de ses épreuves une sorte de santé supérieure, un enseignement humain et surhumain qui l’a fait comparer à Lancelot chevauchant la conquête du Saint-Graal. « Ce qu’il a appris, dira Thomas Mann dans la célèbre conférence qu’il prononça à Princeton en 1939, c’est que pour accéder à une santé supérieure, il faut avoir traversé l’expérience profonde de la maladie et de la mort, tout de même que la condition première de la rédemption est la connaissance du péché. » Et il fait dire à Castorp : « Deux voies mènent à la vie. La première est la voie directe, habituelle et honnête. L’autre est une voie mauvaise qui traverse la mort : c’est la voie du génie. »