mercredi 25 décembre 2019

Descriptions (Flaubert, Robbe-Grillet, Queneau)


Flaubert, Madame Bovary (1857) chap. 1 : 
« Le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis, s'alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poil de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d'une broderie en soutache compliquée, et d'où pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. »

Robbe-Grillet, Les Gommes (1953) : 
« Un quartier de tomate en vérité sans défaut, découpé à la machine dans un fruit d'une symétrie parfaite. La chair périphérique, compacte et homogène, d'un beau rouge de chimie, est régulièrement épaisse entre une bande de peau luisante et la loge où sont rangés les pépins, jaunes, bien calibrés, maintenus en place par une mince couche de gelée verdâtre le long d'un renflement du coeur. Celui-ci, d'un rose atténué légèrement granuleux, débute, du côté de la dépression inférieure, par un faisceau de veines blanches, dont l'une se prolonge jusque vers les pépins - d'une façon un peu incertaine. Tout en haut, un accident à peine visible s'est produit : un coin de pelure, décollé de la chair sur un millimètre ou deux, se soulève imperceptiblement. »

Queneau, Les Fleurs bleues (1965) chap VII : 
« Il porte une casquette carrée semi-ronde ovale en drap orné de pois blancs. Le fond est noir. Les pois sont de forme elliptique ; le grand axe de chacun d’eux a six millimètres de long et le petit axe quatre, soit une superficie légèrement inférieure à dix-neuf millimètres carrés. La visière est faite d’une étoffe analogue, mais les pois sont plus petits et de forme ovale. Leur superficie ne dépasse pas dix-huit millimètres carrés. Il y a une tache sur le troisième pois à partir de la gauche, en comptant face au porteur de la casquette et au plus près du bord. C’est une tache d’essence de fenouil. Elle est infime, mais, malgré son étendue réduite, elle conserve la couleur propre à la substance originelle, une couleur un peu pisseuse, intermédiaire entre l’infrarouge et l’ultraviolet. En examinant avec soin le pois voisin, toujours en continuant à compter à partir de la gauche face au porteur de la casquette et en longeant au plus près du bord, on distingue une souillure minuscule ayant également pour origine la projection d’une goutte d’essence de fenouil, mais ses dimensions sont telles qu’on pourrait croire que c’est simplement un fil du drap noir environnant qui se serait égaré là et y aurait pris une teinte jaunâtre sous l’effet de la lumière au néon […]. »