Gide, Journal, 1893 (anthol. Folio p. 47-48) :
"J’ai voulu indiquer, dans cette Tentative amoureuse, l’influence du livre sur celui qui l’écrit, et pendant cette écriture même. Car en sortant de nous, il nous change, il modifie la marche de notre vie ; comme l’on voit en physique ces vases mobiles suspendus, pleins de liquide, recevoir une impulsion, lorsqu’ils se vident, dans le sens opposé à celui de l’écoulement du liquide qu’ils contiennent. Nos actes ont sur nous une rétroaction. « Nos actions agissent sur nous autant que nous agissons sur elles », dit George Eliot.
Donc j’étais triste parce qu’un rêve d’irréalisable joie me tourmente. Je le raconte, et cette joie, l’enlevant au rêve, je la fais mienne ; mon rêve en est désenchanté ; j’en suis joyeux.
Nulle action sur une chose, sans rétroaction de cette chose sur le sujet agissant. C’est une réciprocité que j’ai voulu indiquer ; non plus dans les rapports avec les autres, mais avec soi-même. Le sujet agissant, c’est soi ; la chose rétroagissante, c’est un sujet qu’on imagine. C’est donc une méthode d’action sur soi-même, indirecte, que j’ai donnée là ; et c’est aussi tout simplement un conte."
cf. Montaigne, Essais, II, XVIII, Du démentir :
"Je n’ai pas plus fait mon livre, que mon livre m’a fait."