dimanche 11 août 2024

Franzen (insomnie)

Franzen, La vingt-septième Ville, trad. Ménard chap. 8 : 

"Je ne t'ai jamais vu aussi fatigué, dit Probst.

Parfois, je me sens bien. Chuck ferma les yeux. On pense qu'on va en sortir. Et puis, il suffit d'une mauvaise nuit.

Il hocha la tête.

Tu as vu un médecin?

Oui. Il m'a donné des cachets. Et des acides aminés. La semaine dernière, j'ai vu un hypnotiseur. Bea m'a envoyé chez un psy. Le résultat, c'est que j'ai dormi vingt minutes la nuit dernière. Mardi, j'ai dormi six heures. La nuit suivante, pas du tout.

Parler semblait éprouvant pour Chuck. Il devait faire un horrible effort.

Ils savent d'où ça vient ? demanda Probst.

J'ai essayé d'arrêter l'alcool, le café. Pendant un moment, je n'ai plus mangé de viande, ensuite j'ai suivi un régime uniquement à base de protéines. J'ai changé de lit, ce qui m'a aidé, mais une nuit seulement. Je me suis senti mieux à la réunion de l'Association des Banquiers Américains, à San Francisco, mais ça n'a duré que trois jours. Quand je suis revenu, crac. J'ai essayé la méditation, le yoga, le jogging, l'absence de jogging, les bains chauds, le lait tiède, les petits en-cas avant de se coucher, des quantités de Valium. Je vis dans un état d'inconscience totale, dans une sorte d'hébétude, mais ce qui touche à mon sommeil, Martin... 

Il leva les mains et enferma entre ses doigts ce qu'il s'efforçait de décrire.

Tout ce qui touche à mon sommeil reste parfaitement éveillé.

Pourquoi, à ton avis ?

C'est bien là le problème. Tout semble avoir son importance. Le côté du lit où je me couche. Travailler trop. Ne pas travailler assez. Ai-je besoin de me mettre en colère ? Ou vaut-il mieux garder mon calme ? Sortir le week-end ou la semaine ? Boire du rouge ou du blanc ? Tu comprends ? Parce qu'il faut bien qu'il y ait une raison à tout cela, et chaque élément de ma vie, chaque chose que je fais dans la journée... Il y a tellement de variables, Tellement de combinaisons. Je ne peux pas identifier chacune d'elles par élimination. Imaginons que mes insomnies soient dues au fait de manger du sucre ou de me coucher trop tôt, ou de regarder des matches le week-end ? Comment veux-tu isoler une chose pareille ? Alors, je reste couché pendant des heures à retourner toutes les possibilités dans ma tête."


I don’t remember you seeming that tired,” Probst said.

“Sometimes I’m OK.” Chuck closed his eyes. “You think you’re getting by. And then one bad night.” He shook his head.

“Have you seen a doctor?”

“Yes. I have pills. And amino acids. Last week I saw a hypnotist. Bea has me started with an analyst. And the result is, I slept about twenty minutes last night. On Tuesday I got six hours. The next night, zero.” It seemed to tax Chuck to speak at any length. It took an ugly effort.

“Do they know what the problem is?” Probst said.

“I tried cutting out booze, coffee. I didn’t eat meat for a while. I went all-protein for a while. I switched beds, which actually helped, but only for one night. I did all right at the ABA conference in San Francisco, but that was only three days, I came back, and wham. I tried meditation. Yoga, jogging, no jogging, hot baths. Warm milk, bedtime snacks, lots of Valium. I’m totally unconscious, I’m in a stupor, but the sleep part of me, Martin—” He raised his hands and, with his fingers, caged what he was describing. “The sleep part of me is wide awake.”

“What do you think it is?”

“That’s the thing. Everything seems like it might be important. The side of the bed I sleep on. Working too hard. Not working enough. Do I need to get angry? Or do I need to stay calm? Weekend versus week night, red wine versus white. You know? Because there’s got to be a reason for this, and any part of my life, anything I do every day—There are so many variables, so many combinations. I can’t pinpoint the important ones by any process of elimination. What if the reasons I can’t sleep are eating sugar, going to bed too early, and watching sports on the weekend? I could never isolate that. But I lie there for hours turning over the variables."